« Je bois pour m’échapper… »

N° 300 - Septembre 2025
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À 21 ans, Romain présente une addiction à l’alcool depuis plusieurs années. S’il est jusque-là parvenu à masquer sa consommation, il est en grande détresse et très démuni pour s’en sortir…

Après avoir annulé plusieurs rendez- vous, Romain finit par se présenter un jour à la Consultation jeunes adultes. Vêtu de noir, les yeux clairs, il parle peu et lentement, comme si élaborer une parole nécessitait un effort extrême. Ses propos vont cependant droits au but. À 21 ans, le jeune homme est suivi depuis 6 mois dans un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) qui nous l’adresse pour affiner le diagnostic. Romain boit depuis longtemps. Il a commencé vers 13 ou 14 ans, il ne sait plus trop comment ni pourquoi, par des shoots de vodka, au lycée entre les cours, puis des demi-bouteilles de whisky chez lui, avec des camarades. Il disposait toujours de bouteilles d’alcool à domicile car son père buvait aussi. Romain s’est toujours senti « un peu à part », « différent », il consommait « par ennui », « pour m’échapper de moi », mais aussi pour se sentir mieux quand il devait interagir avec d’autres. Introverti, souvent « déprimé », il avait peu d’amis. Durant plusieurs années, il a « donné le change ». Personne ne s’est jamais inquiété car ses résultats scolaires restaient excellents. Le jeune homme a obtenu son bac avec une mention très bien, a effectué trois ans de « prépa » dans un grand lycée parisien puis a été admis en septembre dernier dans une école d’ingénieur prestigieuse. C’est au cours de cette dernière année scolaire que ses dissimulations se sont fissurées…

« QU’EST-CE QUI CLOCHE CHEZ MOI ? »

Romain raconte ses errances et sa déchéance. Il s’est rendu en cours les quatre premières semaines, en se mettant tout au fond, très loin des autres, terrifié et sans jamais pouvoir discuter ou engager une conversation avec un pair, même en augmentant sa consommation d’alcool… Rapidement, il a presque cessé d’aller en cours, s’est mis à boire toute la journée. Un jour, pris d’un accès de colère après une remarque sur ses absences, il a cassé une vitre de l’école, ce qui a provoqué son exclusion. Tous les quinze jours, il rencontre une psychologue au Csapa mais aimerait qu’« un médecin “dose” ce qui cloche chez lui ». Par périodes courtes (un mois au maximum), il est parvenu à arrêter sa consommation mais s’alcoolise à nouveau quand ses pensées sombres deviennent trop envahissantes ou quand il se sent « vide ». Je lui demande comment il se projette ou quels sont ses espoirs. Il voudrait « arrêter de boire, mener une vie normale, se rendre en cours sans avoir le ventre noué, parler aux autres, ne plus avoir honte quand il croise le regard de sa mère »… Le jeune homme ne sait pas ce qu’il aime faire, confie qu’il a toujours été triste, depuis le collège. Son seul plaisir reste « les maths » d’ailleurs il envisage de donner des cours particuliers. Il esquisse enfin un sourire : « Les maths, c’est une évidence pour moi, et puis j’aime bien aider ceux qui sont en difficultés dans ce domaine. »

LE PIÈGE DE L’ALCOOL

Plutôt isolé, Romain vit avec sa mère, qui le soutient « comme elle peut ». Il voit peu son père depuis la séparation du couple l’année de son bac. Il rapporte une histoire familiale émaillée de troubles d’usage de l’alcool: un grand-père alcoolique décédé très jeune, ses oncles, les frères de son père, qui boivent aussi. Le jeune homme soupire, hésite, puis confie avoir déjà vu « beaucoup de psychologues » : « ils ne peuvent pas m’aider, je n’ai pas envie de parler de moi ». On sent chez lui une grande pudeur et une peur de déranger.

Au final, l’alcool remplit le vide de ses journées, lui donne (en apparence) l’énergie nécessaire pour sortir de chez lui, aller vers les autres quand il le faut. Romain explique qu’il n’a jamais pu imaginer son avenir, il ne se voit pas vieux ni même en couple, « avec une femme, des enfants tout ça ». C’est comme si la vie se déroulait sans lui et qu’il voyait les autres avancer sans jamais pouvoir faire de projets. À part de la colère, il dit n’éprouver aucune émotion depuis longtemps. Il boit juste « pour ne pas ressentir de manque, cette envie qui me tord l’estomac jusqu’à la douleur ».

Adolescent brillant mais renfermé, vulnérable, Romain est ainsi « tombé » dans le piège de l’alcool. Peut-être souffre-t-il de dépression, d’un trouble de l’anxiété généralisé ou d’une forme d’autisme Asperger non repéré, qui l’auraient incité à « se réfugier » dans cette consommation. Pour l’accompagner, nous programmons un rendez-vous avec le psychiatre, pour évaluer le trouble et la présence de comorbidités psychiatriques. Dans l’intervalle, je l’encourage à continuer les entretiens au Csapa et notre suivi infirmier, qui consolide cet étayage.