Des sociétés savantes et associations professionnelles réunissant les spécialistes de la psychiatrie infanto-juvénile et de la psychiatrie légale alertent sur la proposition de loi visant « à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents ». Elles dénoncent un « texte sécuritaire qui s’inscrit dans un populisme pénal et témoigne d’une vision à court terme non réfléchie, allant à l’encontre de l’intérêt de l’enfant« . Communiqué.
La proposition de loi visant « à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents » constitue une rupture préoccupante dans la manière de penser la justice pénale des mineurs, contraire à l’intérêt de l’enfant.
Le texte de la commission mixte paritaire, actuellement examiné au Conseil constitutionnel, tend à remettre en question les principes centraux de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et maintenus dans le Code de la justice pénale des mineurs.
–La proposition de loi inverse le principe de l’excuse de minorité pour les adolescents de 16-18 ans en état de récidive légale. L’atténuation de la peine ne sera plus le principe mais l’exception que le juge devra spécialement motiver.
–Elle renforce les mesures coercitives pour les mineurs – allant à l’encontre du principe de la primauté de l’action éducative sur l’action répressive – avec augmentation de la durée de détention provisoire, la possibilité d’une assignation à résidence sous surveillance électronique dès 13 ans, la mise en place de mesures de sûreté en cas de respect partiel de mesures éducatives.
–Elle prévoit la possibilité de juger le mineur en comparution immédiate lorsqu’il est en état de récidive légale.
Le texte consacre ainsi un tournant répressif de la justice pénale des mineurs et la volonté de leur appliquer les règles habituellement prévues pour les majeurs.
Vouloir juger des mineurs comme des majeurs est non seulement contraire aux principes de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France en août 1990 mais témoigne aussi d’une méconnaissance profonde de la population des mineurs commettant des actes de délinquance.
Les mineurs commettant des actes de délinquance sont ou ont été en majorité eux- mêmes victimes de différentes maltraitances et ont des dossiers ouverts en assistanco éducative. Ainsi que l’indique le sociologue Philippe Milburn en 2009 – il n’y a pas de différence de nature entre les mineurs suivis en protection de l’enfance et ceux suivis en pénal. Il s’agit souvent de mineurs vus à des moments différents de leur parcours.
Vouloir mener une justice expéditive empêche d’étudier ces circonstances, la situation du mineur. Cela empêche de proposer une décision judiciaire personnalisée qui considère la place de l’acte dans le parcours du mineur, à l’opposé de ce que propose aujourd’hui le Code de la justice pénale des mineurs avec le principe de la césure du procès pénal, à l’opposé aussi de l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945 qui indiquait dans son préambule : « ce qu’il importe de connaitre c’est bien plus que le fait matériel reproché au mineur, c’est sa véritable personnalité qui conditionnera les mesures à prendre dans son intérêt ».
Ces propos frappés au coin du bon sens font cruellement défaut à la proposition de loi actuelle.
La gamme d’âge de 16-18 ans particulièrement visée dans le texte est la période de l’adolescence la plus à risque d’émergence de troubles psychiatriques graves -troubles de l’humeur et troubles psychotiques en particulier – dont l’acte infractionnel peut être un mode de révélation. Il est donc essentiel de prendre le temps d’observer ces adolescents, qu’ils aient ou non précédemment commis des infractions, et ne pas aller vers une justice expéditive.
Le cerveau des mineurs, notamment les zones qui contrôlent l’inhibition, se développe au-delà de 18 ans. Il n’est ainsi pas possible de juger comme un adulte une personne qui n’en a pas encore la maturité. Les données criminologiques révèlent que les réponses principalement répressives sont contre-productives. Incarcérer le mineur augmente au contraire le risque de récidive.
Dans les exposés des motifs de la proposition de loi, il est évoqué une partie de la jeunesse à la dérive. Si certains enfants et adolescents sont en perte de repères, il convient de s’interroger sur les raisons et sur les manières d’y remédier par des concertations pluriprofessionnelles impliquant la société civile, Comment aider ces jeunes et leur famille ? Comment adapter le travail socio-éducatif et les placements quand ils sont nécessaires ?
Plutôt que renforcer les sanctions des parents concernant les actes de leur enfant, il conviendrait de mieux les soutenir dans leur responsabilité éducative.
La commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques en protection de l’enfance a révélé dans son rapport d’avril 2025 d’importants dysfonctionnements concernant la protection de l’enfance qu’il conviendrait de traiter prioritairement.
La proposition de loi actuelle sur la justice pénale des mineurs est un texte sécuritaire qui s’inscrit dans un populisme pénal. Elle témoigne d’une vision à court terme non réfléchie, allant à l’encontre de l’intérêt de l’enfant. Mettre l’accent sur le répressif à la place de la dimension éducative et de la prévention est une solution de facilité qui permet de faire l’économie de la nécessaire réforme d’ampleur qui doit concerner la protection de l’enfance.
Nos sociétés savantes et associations professionnelles réunissant les spécialistes de la psychiatrie infanto-juvénile et de la psychiatrie légale alertent sur le caractère inadapté et dangereux de cette réforme et appellent à une concertation des acteurs spécialisés de l’enfance et de ses troubles.
Les signataires du communiqué
- la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d’établissement de centres hospitaliers spécialisés.
- le Syndicat des psychiatres des hôpitaux ;
- la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées ;
- la section psychiatrie légale de l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie ;
- l'Association des psychiatres infanto-juvéniles de secteur sanitaire et médico-social ;
- l'Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues ;
- la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel ;
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• « Restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents », Proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents (dépôt le mardi 15 octobre 2024). Assemblée nationale. Dossier législatif.