À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les discours de haine, le 18 juin dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rendait public son 35ᵉ rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Les conclusions inquiètent : des préjugés qui persistent, des actes racistes, sous-déclarés, qui se multiplient, des réponses judiciaires insuffisantes, des conséquences sur la santé des personnes victimes avérées et une santé mentale dégradée pour les victimes.
L’année 2024 a été une année politique sous tension, marquée par une très forte instabilité institutionnelle et une défiance accrue des citoyennes et citoyens à l’égard des institutions. Le désengagement institutionnel pour lutter contre les actes et les discriminations à caractère raciste est très préoccupant. En qualité de rapporteur national indépendant, la CNCDH adresse un appel sans équivoque au Gouvernement : il est impératif d’agir rapidement et de répondre aux attentes des Françaises et Françaises dont plus de 75 % considèrent qu’« une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France ».
La tolérance progresse mais les préjugés persistent
Après une chute de trois points de l’indice de la tolérance en 2023, la tolérance progresse à nouveau : + 1 point en 2024. L’indice longitudinal de tolérance (ILT) s’établit à 63/100, soit le troisième meilleur score depuis 1990. Cependant, cette amélioration globale masque des disparités quant à l’intensité du rejet à l’égard des minorités. Les stéréotypes racistes restent profondément ancrés pour certains groupes de la population. Ainsi, les Roms sont toujours perçus comme groupe « à part » par 59 % de la population.
Le Baromètre révèle aussi que certains préjugés tendant à rendre la personne immigrée responsable des maux de la société, notamment de la situation économique et sociale et de l’insécurité, perdurent. Les propos stigmatisants et discriminatoires tenus par certains responsables politiques, fréquemment amplifiés par des médias d’opinion, contribuent à ce phénomène. La CNCDH a largement documenté et dénoncé comment ces discours participent à nourrir le rejet de l’Autre et à banaliser l’expression de la haine dans la société, les discriminations et les violences.
La hausse des actes racistes se poursuit
Après une année 2023 marquée par une explosion des actes racistes, et en particulier des actes antisémites, le nombre d’actes racistes enregistrés en 2024 par le ministère de l’Intérieur continue à augmenter et reste à un niveau inédit depuis le début de la collecte des données. En outre, les violences envers les personnes ont progressé.
- +11 % de crimes ou délits racistes recensés par les forces de l’ordre (9 350 faits – source : SSMSI).
- Plus de 1 570 actes antisémites recensés, un chiffre toujours très élevé, proche de celui de 2023 (source : DNRT).
- +55 % de signalements en ligne sur la plateforme PHAROS.
Le phénomène de sous-déclaration est toujours massif
1,2 million de personnes âgées de plus de 14 ans se déclarent chaque année victimes d’au moins une atteinte à caractère raciste (Enquête VRS publiée en décembre 2023). Or, 97 % d’entre elles ne portent pas plainte. La sous-déclaration ne recule pas en France, elle s’explique notamment par la défiance envers les institutions, les difficultés à porter plainte, et le faible nombre de condamnations.
Une réponse judiciaire bien en-deçà des enjeux
En 2023, seulement 8282 affaires étaient traitées par les parquets (soit une augmentation de 4 %), alors que cette même année, le nombre d’actes enregistrés par le ministère de l’Intérieur augmentait de 32 %. Et seules 1594 condamnations ont été prononcées. Le taux de classement sans suite demeure très élevé, bien au-dessus du contentieux général. Surtout, avec cinq condamnations en 2023 pour discrimination, la réponse pénale n’est pas à la hauteur des enjeux. Ce faible nombre des condamnations nourrit le sentiment d’impunité des auteurs, la défiance des minorités vis-à-vis des institutions comme leur sentiment d’insécurité. Après une année 2024 marquée par une hausse des actes racistes, la CNCDH appelle le gouvernement à faire de la lutte contre l’impunité une priorité absolue.
Le racisme dégrade fortement la santé des personnes victimes
Les personnes victimes de racisme, quel que soit leur âge, voient leur état de santé se dégrader et ce de façon précoce. Elles doivent s’adapter au quotidien aux comportements racistes à leur encontre optant pour des stratégies d’évitement, de repli sur soi ou de résignation ou devant prouver sans cesse leur légitimité. Hypervigilance, stress, dépression, anxiété, parfois associés à des maux de tête, de l’hypertension sont fréquents chez les personnes racisées. Ces pathologies peuvent être la conséquence de stéréotypes raciaux et de biais discriminatoires (comme le « syndrome méditerranéen ») qui dégradent la qualité de la prise en charge médicale et peuvent même avoir des conséquences mortelles.
Isolement, dépression et anxiété sur le long terme
Les personnes racisées ou subissant des discriminations vont être constamment en état de vigilance et de stress. Elles sont dans l’attente usante d’une agression ou micro-agression à venir. En termes de santé mentale, ce stress peut conduire à des états dépressifs, de l’anxiété, une faible estime de soi, de l’irritabilité, des troubles de l’alimentation, à l’utilisation de stupéfiants ou au développement de comportements agressifs. D’après l’Insee, les violences et discriminations ont un impact psychologique important sur les victimes, y compris lorsque ces discriminations sont liées à l’origine. 56 % des victimes de discriminations en raison des origines, de la couleur de peau ou de la religion, déclarent que cela a eu sur eux des conséquences psychologiques « plutôt importantes » ou « très importantes »
Par leur répétition, leur caractère faussement anodin, ces discriminations contraignent leurs victimes à s’adapter en permanence. Le fait de se voir dénier son identité, sa nationalité, porte atteinte à l’estime de soi de manière durable.
La psychologue Yaotcha d’Almeida a bien décrit ce phénomène « qu’il soit réel ou perçu le racisme et la discrimination entraînent une expérience de stress lié à la race, ce qui peut avoir un impact considérable sur l’apparition de problèmes de santé mentale et des désordres cliniques comme la dépression et le syndrome stress post-traumatique ».
La CNCDH formule donc une série de recommandations pour mieux lutter contre les formes du racisme au quotidien, dans l’ensemble des secteurs où il se manifeste, singulièrement ceux de l’éducation et de la santé, décisifs dans la perception de l’égalité et de l’accès aux droits. Au-delà de ces recommandations, la CNCDH insiste sur l’importance d’un affichage clair de politiques publiques ambitieuses et clairement engagées contre le racisme, les discriminations et celles et ceux qui s’en font aujourd’hui les porte-paroles décomplexés.
Les recommandations de la CNCDH en matière d’accès aux soins et à l’éducation
– Mise en place de formations obligatoires pour tous les personnels soignants et éducatifs sur les questions de racisme et d’antisémitisme, afin de les sensibiliser notamment aux enjeux liés à la santé mentale et physique.
– Intégrer dans les questionnaires de santé des questions sur le vécu des personnes en matière de discrimination, incluant une perspective intersectionnelle (sexe, handicap, grossophobie, couleur de peau, religion…), afin de mieux cerner l’impact de ces discriminations sur la santé et d’adapter les soins en conséquence.
– Ajouter, dans le carnet de santé des enfants, des recommandations sur les discriminations et le harcèlement, ainsi que des informations sur les moyens de signalement disponibles.
– Soutenir activement des études scientifiques pluridisciplinaires sur l’impact du racisme sur la santé physique et mentale, dans le but de mieux en comprendre les effets à court et long terme.
– Faire passer des questionnaires dans tous les établissements de santé et médicalisés afin de recueillir systématiquement les témoignages des patients en matière de discriminations afin d’identifier les biais dans la prise en charge.
– Créer une commission de réflexion sur l’impact des violences liées aux discriminations, en s’inspirant du modèle de la CIVIISE (Commission indépendante sur les violences sexuelles et sexistes dans l’Éducation nationale), afin de produire des recommandations spécifiques pour lutter contre les discriminations dans le secteur de la santé et de l’éducation.
« La CNCDH est une vigie mais aussi un levier. Sa parole est entendue et attendue par les institutions, la société civile et les acteurs de terrain. Il est urgent de mettre en place les préconisations de ce rapport pour faire reculer l’impunité ; il en va de la cohésion de la société. »
• La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, année 2024, Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), rapport (PDF).