Que faire si un patient en psychiatrie multiplie des courriers manifestement confus ou injurieux, qui pourraient lui être préjudiciables ? Le soignant a-t-il le droit d’interférer ?
Rattachée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1), la liberté d’expression garantit celle d’écrire. Plus précisément, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » (2). Le droit d’émettre et de recevoir des courriers s’inscrit ainsi parmi les droits fondamentaux. Mais les soignants en psychiatrie s’interrogent parfois lorsqu’un patient hospitalisé multiplie les courriers susceptibles de lui être préjudiciables : lettres de menace ou d’injures en tous genres, explications incompréhensibles ou confuses à l’avocat, voire courriers plus personnels à la famille que la personne pourrait regretter ultérieurement… Juridiquement, les professionnels sont-ils en mesure d’intervenir ?
Un droit spécifique en psychiatrie
Dans la loi sur les soins sans consentement (3), le législateur a pris le soin d’inscrire ce droit au sein d’un article déclinant les droits fondamentaux du patient en psychiatrie : « La personne faisant l’objet de soins psychiatriques dispose du droit : (…) 5° D’émettre ou de recevoir des courriers ; (…) » (3). Ce même article souligne expressément la liberté pour la personne hospitalisée de communiquer avec son avocat et les autorités de contrôle : Préfet, président du Tribunal judiciaire, Procureur de la république, maire de la commune où est implanté l’hôpital, Commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).
Protection du courrier
Le respect de la vie privée s’applique à tout un chacun. « Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. (…) » (4). Le Code pénal protège ainsi l’individu de mauvaises intentions d’autrui… à ce titre, s’il a eu l’intention de commettre cette infraction sans fondement légitime, le soignant peut voir sa responsabilité pénale (qui est une responsabilité personnelle) engagée.
Protéger le patient
À l’opposé, le souci de protection de la personne, de ses intérêts, peut fonder légalement la limitation ponctuelle des correspondances d’un patient, dans des conditions précises. « Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques (…) les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée. (…). »(5). En pratique, dans l’intérêt de la personne, après évaluation de son état de santé, le médecin peut faire conserver ponctuellement un courrier reçu ou transmis par le patient. Cette décision médicale doit être motivée et tracée dans le dossier de la personne. Il s’agit par ex. de courriers injurieux qu’un malade pourrait adresser à son employeur, à sa famille…
Par ailleurs, au-delà du contenu même du courrier (qui n’est pas toujours connu ni préjudiciable en tant que tel), le destinataire (par exemple un employeur) pourra potentiellement être informé de l’hospitalisation de la personne, une information qui reste aujourd’hui malheureusement stigmatisante pour l’intéressé. On peut donc considérer ici qu’il s’agit bien de déployer une protection dans un contexte de vulnérabilité.
Cependant, en aucun cas, la restriction ponctuelle des correspondances ne peut concerner un courrier destiné aux autorités de contrôle ni à un avocat. Au contraire, quel que soit le fond ou la forme du courrier présenté par le patient, le personnel soignant doit favoriser la communication avec ces autorités, et notamment le Juge judiciaire. Il importe peu que le courrier soit confus, injurieux, sans objet précis, le personnel soignant n’a pas à en examiner l’opportunité.
Informer le patient de ses droits
Ainsi, la liberté d’expression ne cesse pas dans le cadre d’une mesure d’isolement ou de contention. Le patient doit être d’autant plus protégé voire assisté dans la rédaction de courriers à destination de ces mêmes autorités de contrôle. Le Contrôleur des lieux de privation de liberté (CGLPL) a pour sa part recommandé que les droits fondamentaux des patients en soins sans consentement soient affichés au sein des espaces dédiés à l’isolement et à la contention (6).
Une règle d’or : la traçabilité
Une limitation temporelle de la liberté de correspondance doit donc toujours être prise dans le cadre d’une nécessité, et elle doit rester proportionnelle et adaptée. On retrouve toujours la même logique juridique d’une décision médicale individuelle, ponctuelle et motivée, en rappelant que la traçabilité reste pour les juristes le maître mot !
Valériane Dujardin-Lascaux
Juriste
1– « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
2– Article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3– Article L.3211-3 du Code de la santé publique.
4– Article 226-15 du Code pénal.
5– Article L.3211-3 du Code de la santé publique.
6– Rapport du CGLPL sur l’isolement et la contention dans les établissements de santé mentale, 2016, page 116.