Auteurs de violences conjugales : les fonctions ambivalentes du groupe de parole

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Lucie Hernandez, enseignante-chercheure en psychologie au Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au Champ Pénitentiaire (CIRAP) analyse les fonctions du groupe et ses effets sur les hommes concernés par les violences conjugales, notamment sur leurs représentations de la violence et leur positionnement par rapport aux victimes et aux actes posés. En dépassant la vision du groupe comme simple outil, l’auteure invite également à réfléchir sur la façon dont il peut agir en profondeur, par l’influence qu’il exerce sur les présentations de soi et des autres, et au travers des dynamiques paradoxales et complexes qui s’y jouent.

Conclusion

En interrogeant les hommes sur leur expérience du groupe, nous avons pu mettre en lumière les fonctions contradictoires qu’il joue. Il est à la fois positif en ouvrant un véritable espace de liberté, une possibilité de dire et
de penser, dans un univers dominé par la contrainte et l’agir. Il permet également de se construire une image
de soi moins dévalorisante, moins stigmatisante. Mais il implique aussi de se protéger et de « ne pas perdre
la face » : il peut donc renforcer des résistances et par conséquent, aboutir à l’effet contraire à celui recherché.
Finalement, la fonction d’identification propre au fonctionnement du groupe porte en elle-même une ambivalence : elle permet à l’individu de se rassurer en constatant qu’il n’est pas seul, mais elle le confronte aussi à une image de lui-même qu’il peut refuser. Face à cette tension, il peut chercher à se démarquer en s’opposant au groupe mais aussi, à tout ce qui est fait pour le groupe. Dans ce cadre, et pris dans cette contradiction, certains hommes peuvent rester dans une posture défensive les empêchant de s’investir dans la dynamique collective et donc d’adhérer au dispositif.


Le groupe est donc plus qu’un outil ou une méthode d’intervention aboutissant à des changements visibles et immédiats. Il agit en profondeur, influençant les re- présentations de soi et des autres de manière discrète,
complexe et parfois paradoxale. Dès lors, toute intervention au sein d’un groupe doit tenir compte de cette
dynamique propre, en évitant de le réduire à un simple levier de changement, mais en le considérant comme
un lieu où se jouent des processus complexes d’identification, de projection ou de distanciation.

Ces constats peuvent notamment éclairer les difficultés (voire les sentiments d’impuissance ou d’échec) rencontrées par les professionnels animant des groupes de parole pour hommes auteurs de violences conjugales, où les effets paradoxaux et souvent imperceptibles du groupe peuvent éloigner des objectifs initiaux ou mettre à mal le dispositif. Ici comme ailleurs, la formation peut jouer un rôle essentiel. Plus précisément, l’analyse de pratiques permettrait justement d’explorer ces logiques et fonctions sous-jacentes, afin de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre, d’identifier et analyser les tensions ou résistances et d’adapter les postures d’intervention.

Article à lire sur ce lien

Auteurs de violences conjugales : les fonctions ambivalentes du groupe de parole, Lucie Hernandez – enseignante-chercheuse en psychologie au CIRAP, Les Chroniques du CIRAP n°38 (PDF).