Dans une enquête de terrain menée en Ehpad, la gériatre Caroline Laniau pointe l’impact négatif des croyances sociales des personnels dans la prise en soin des personnes âgées psychiatriques vieillissantes. Paradoxalement ce sont les infirmiers, rééducateurs, psychologues et médecins salariés, qui éprouvent le plus de difficultés (64.9%) vis-à-vis de ces personnes.
L’accueil des personnes âgées psychiatriques vieillissantes (PAPV) en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est souvent source de réticences par le personnel, conséquence d’une double stigmatisation (l’âge et les troubles psychiques) et de représentations sociales négatives (violence, dangerosité, impulsivité…). Le Dr Laniau a mené une enquête de terrain pour objectiver ces problématiques et identifier des pistes d’amélioration.
Sur le plan méthodologique, un questionnaire anonymisé a été distribué sur une semaine, aux 119 salariés de la Fondation Aulagnier, Ehpad public de 160 lits situé à Asnières- sur-Seine (Hauts de Seine). Soixante et onze questionnaires renseignés ont pu être traités.
Des difficultés liées au manque de connaissances et à la stigmatisation
Cette enquête sur le regard des salariés dans la prise en charge des personnes âgées psychiatriques vieillissantes (PAPV) montre que le personnel, soignant ou non, connaissait un ou des malades psychiatriques (100%) dans sa vie personnelle (49%), en formation (54%), ou dans sa vie professionnelle (collègues 44%, résidents 72%). Le repérage des PAPV parmi les résidents majoritairement atteints de trouble neurocognitif majeur (maladie neurodégénérative évolutive) est correct puisque 67.6% des salariés estiment leur nombre convenablement.
Cependant, seul 42.25% du personnel, (soignant 43.18% ou non soignant 40.74%) estime être à l’aise dans l’accompagnement de cette population : 53.34% des aides-soignants et auxiliaires de vie rencontrent ainsi des difficultés dans la prise en soin. Paradoxalement ce sont les infirmiers, rééducateurs, psychologues et médecins salariés, qui éprouvent le plus de difficultés (64.9%) vis-à-vis de ces personnes âgées psychiatriques vieillissantes.
Plus de la moitié des salariés (57.75%) estiment par ailleurs que l’Ehpad n’est pas adapté à l’hébergement des PAPV, en majorité les soignants (63.67%) : là encore la plupart du personnel médical et paramédical considère, à 78.57%, que l’Ehpad n’est pas approprié aux PAPV. Les salariés non soignants restent plus modérés et jugent à 48.15% que l’Ehpad n’est pas adapté.
Questionnée sur ces difficultés, Caroline Laniau précise : « La stigmatisation sociale de cette population, la méconnaissance des maladies psychiatriques et l’absence de formation initiale à la psychiatrie pour le personnel soignant (formations aide-soignante, infirmière…) sont autant d’obstacles à la bonne prise en charge des patients. Les difficultés des soignants proviennent donc du manque de connaissances mais aussi du manque de rencontres avec les malades souffrant de troubles psychiatriques. Tout comme dans la population générale, on ne retient que la violence, finalement très rare dans les pathologies psychiatriques. Par ailleurs, quand ils utilisent les approches comportementales apprises dans le cadre de la démence avec des personnes souffrant de troubles psy, les soignants sont très souvent en échec, ce qui renforce la stigmatisation au sein de l’Ehpad et l’appréhension ».
Besoin de formation
Le questionnaire permettait un recueil qualitatif de solutions pour améliorer l’accompagnement de cette population ; seuls vingt salariés sur les 71 questionnaires, ont rédigé une ou plusieurs pistes d’améliorations, soit 19.6% de l’ensemble du personnel (28.17% des questionnaires renseignés).
En grande majorité, les professionnels de l’Ehpad ont demandé des formations spécifiques sur la maladie psychiatrique et le comportement à adopter devant une PAPV, puis par ordre décroissant, le renforcement des liens avec le secteur psychiatrique, Centre médico-psychologique (CMP) du secteur et l’Equipe mobile de psychiatrie du sujet agé (EMPSA), la création d’un comité de pilotage psychogériatrique pour aider dans les accompagnements, le recrutement de professionnels spécialisés en psychiatrie, la protection des salariés exposés et la prévention contre l’épuisement professionnel. Seuls 3 salariés ont évoqué le souhait d’un regroupement des PAPV au sein de l’Ehpad par la création d’unité spécifique adaptée.
Conclusion
Cette enquête auprès des salariés de l’Ehpad (soignants et non soignants) a permis de comprendre que la réticence envers la population des PAPV accueillis n’était pas consécutive à une méconnaissance de la pathologie (pathologie psychiatrique connue et repérée par le personnel), mais à la croyance sociétale.
Cette stigmatisation semble d’ailleurs plus notable pour le personnel paramédical et médical. Cette réticence nous a amené à rechercher des actions pour sensibiliser, aider les salariés dans leur accompagnement mais aussi pour diminuer leurs croyances péjoratives envers les PAPV.
Ainsi, un comité de psychogériatrie a été créé renforçant le lien avec l’équipe de l’EMPSA (réunion trimestrielle) et la programmation de formations spécifiques à la psychiatrie a été engagée.
• Le regard des salariés d’un Ephad dans la prise en charge des personnes âgées psychiatriques vieillissantes, Caroline Laniau, in Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement, Volume 22, supplément 1, Novembre 2024, p150. Ce travail a fait l’objet d’une présentation lors des 44es journées annuelles de la Société française de gériatrie et de gérontologie en novembre 2024 à Paris.