N° 294 - Janvier/Février 2025

Tic-tac, la vie…

Auteur(s) : Nathalie Micou, Usagère des soinsNbre de pages : 1
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« Qui a le plus à perdre du manque de temps et de moyens en psychiatrie ? » Pour aller mieux, les patients ont
besoin d’une rencontre authentique avec des soignants qui prennent le temps de les écouter, avec ce qu’ils sont…

Vous avez choisi d’être médecins, psychiatres, psychologues, infirmières et j’en passe… Vous avez acquis une certaine reconnaissance de la part des patients et du grand public, vous avez du « mérite », diront certains…
Nous aussi, les malades, les « différents », les pairs-aidants, en avons, du mérite, pour supporter le manque de moyens, de personnels, d’humanité et de temps. Entendez bien que nous subissons cela autant que vous ! Je me sens pour ma part privilégiée d’être presque rétablie, presque « pair aidante », presque… mais totalement chroniqueuse à la revue Santé mentale et à Radio Pinpon, comédienne aussi de la troupe « les Clowns Nez Cs’Air » (1) ou encore musicienne du groupe Crazy Tempo (2) : ces engagements sont une nécessité pour mon équilibre personnel. La gestion des émotions ne se solutionne pas seulement avec des « cachetons ».
J’ai compris un jour que mon corps était « extraordinaire », qu’il parlait plus vite que ma tête, ce qui s’est confirmé à plusieurs reprises. Un jour de février, mon poumon droit a lâché, certains ont dit : « trop maigre ! ». Puis il a lâché une seconde fois, là encore, explications culpabilisantes des médecins et il a flanché une troisième fois ! Trois opérations éprouvantes pour m’entendre dire que mon traitement psychotrope (huit comprimés de Tranxène® 20 mg par jour pour « m’apaiser ») affaiblissait trop mes muscles.
L’arrêt total de ce médicament et un allègement de mon ordonnance m’ont permis de reconnecter au monde. Cela n’a pas été magique, mais l’énergie vitale est revenue et de plus en plus fort. À chaque projet, je me suis fortifiée et c’est encore le cas aujourd’hui quand je témoigne.
Je crois que dans la vie, il faut rester humble, car si aujourd’hui vous êtes soignants, peut-être que demain vous ou vos proches passerez du côté des soignés. Alors comment ne pas dire « traite-moi comme tu voudrais être traité » ?
Bien sûr, il existe des soignants « bien », et même des « très bien ». J’ai eu la chance immense d’en rencontrer, ils m’ont soignée et ensemble, nous avons construit des projets. Éric, Laurence, Peggy, Émilie…, ce sont ceux qui restent, malgré le manque de moyens et de temps, qui réinventent la psychiatrie et créent des interstices.
Ce sont ceux qui soignent comme ils sont. Ceux qui nous intègrent au-delà des murs de l’hôpital.

Retrouvez l’envie !
Certains ont témoigné à propos de cette question de temps qui leur manque, comme cette soignante : « Je suis arrivée dans un nouveau service, dit-elle, où je me suis fait recadrer fermement car j’avais consacré trop de temps à un entretien. » Au bout de dix minutes, affirmait son collègue, « le malade se répète ! ». En psychiatrie, c’est justement là que la notion de temps devrait prendre toute sa place. Alors manquez-vous de temps ou de patience ? Les enseignements des instituts de formation et des universités sont-ils adaptés ? Car la souffrance vaut bien plus que dix minutes chrono !
Une autre fois, c’est un patient qui se confie : « Je suis dans le service, je me sens mal alors je demande à parler », et le soignant lui répond : « ça se prépare un entretien ! ».
En 36 ans de suivi en psychiatrie, j’ai vu la différence. Dans mon malheur, j’ai eu la chance de passer ma phase aiguë avec des soignants qui avaient du temps ou qui le prenaient. Ah ! L’excuse du manque de temps. Eh bien ! Au contraire, prenez le temps d’une vraie rencontre. Retrouvez cette envie. Il y a des soignants pleins d’envie, mais ils sont un peu seuls. Qui a le plus à perdre du manque de temps ? Arrêtons de gâcher ce temps sur nos téléphones portables. Ça ne choque personne ? Tic-tac la vie ! Ne nous rendez pas dépendants de votre horloge.

Des patients qui vous attendent…
Très récemment, une infirmière m’a expliqué que tout se jouait à la première rencontre, que c’était très important de prendre le temps d’amorcer les choses. Accorder de l’importance à une écoute attentive et sincère. Ne pas dire non, mais différer. Être authentique dans la relation et elle précisait : « Ça vient de ma propre éducation et de ma personnalité. Nous sommes des humains comme vous ».
Chacun est important sur ce chemin-là, soignants, soignés, il n’y a pas de « petits » ou de « grands ». Aller mieux, c’est créer sa place, ne plus attendre de l’autre. Soigner comme vous êtes vraiment, c’est peut-être dispenser le meilleur des soins. Quand vous manquez de moyens, il y a toujours des soignants qui ont des idées, qui gèrent le temps différemment et ne se positionnent pas face à nous mais à côté de nous, pour faire ensemble.
Aujourd’hui je sais qui je suis, peu importe le terme utilisé ! La vraie force, ce n’est pas de ne jamais chuter ou sombrer, c’est de se relever à chaque fois. Tout à l’heure, vous allez retrouver des patients qui vous attendent, avec leurs corps différents, leurs cœurs trop grands, leurs esprits étonnants, mais avec leurs belles âmes. Car la maladie n’atteint jamais l’âme.
Pour vous, c’est le métier de votre vie, pour nous, c’est le combat de notre vie.

Nathalie Micou
Pair-aidante

1– Réalisé avec la participation active des patients, l’atelier « Nez Cs’air », au CH de Niort, propose un espace relationnel grâce à la médiation du travail du clown pour favoriser l’inclusion sociale et déstigmatisation.
2–Également issu d’un groupe thérapeutique du CH de Niort, Crazy Tempo réunit des musiciens amateurs, et se produit dans et hors les murs.