À 18 ans, Mina, présente un trouble de la personnalité borderline. Elle grandit dans un environnement familial peu soutenant, voire nocif… Comment l’accompagner ?
Nous accompagnons Mina, 18 ans, depuis un an. Elle a été adressée à notre consultation par l’hôpital, après plusieurs tentatives de suicide par ingestion médicamenteuse, qui ont parfois nécessité de longues hospitalisations. Un trouble de la personnalité borderline, couplé à un état dépressif, a été diagnostiqué. Mina décrit de longues périodes de vide, avec un effondrement de l’humeur et une clinophilie qui font craindre des passages à l’acte. Elle évoque occasionnellement des hallucinations qui font penser à des reviviscences traumatiques de maltraitance dans l’enfance. Le psychiatre a instauré un régulateur de l’humeur et un antidépresseur, avec un suivi infirmier hebdomadaire, en binôme, pour surveiller son état, l’aider à identifier ses baisses de l’humeur et les moyens d’y faire face. C’est un suivi complexe, qu’il est parfois difficile de « doser », car les patients borderline semblent avoir « besoin » de nous inquiéter et ils nous renvoient facilement à nos propres limites, à notre impuissance. Il s’agit de rassurer, de trouver les moyens de rester auprès de Mina. À terme, quand elle sera plus stable, le relais vers un Centre médico-psychologique (CMP) pourra être envisagé.
Quand tout est « bof »
Mina est en terminale générale et sa scolarité se passe plutôt bien. Elle ne connaît pas son père et vit seule avec sa mère, dans un studio de 30 m2. Cette dernière s’est peu occupée de sa fille dans son enfance et Mina a vécu jusqu’à ses 10 ans chez une nourrice qui la maltraitait. Aujourd’hui, sa mère travaille dans un restaurant et a beaucoup de problèmes de santé. Elle souffre notamment d’une hypertension non (ou mal) soignée et fait souvent des malaises, car elle n’est pas rigoureuse dans son traitement. C’est alors Mina qui la « ramasse » à terre la nuit chez elles ou en journée dans les escaliers…
Les relations mère-fille sont parfois très conflictuelles. Après des disputes, Mina peut se scarifier avec un couteau sur les cuisses ou les bras, même si la fréquence de ces actes a diminué depuis qu’elle accepte le suivi. Vu l’exiguïté du logement, toutes deux dorment dans le même lit. La mère réveille souvent Mina la nuit quand elle ne se sent pas bien. Quand elle a mal au dos, elle lui réclame un massage. Je demande à Mina si elle trouve ce comportement normal. Haussant les épaules, elle murmure que dans leur culture orientale, « une fille doit obéir à sa mère ». Elle soupire. « D’ailleurs, si je refusais, elle m’empêcherait de dormir jusqu’à ce que je fasse ce qu’elle dit ».
Avec mon collègue infirmier, nous travaillons l’autonomisation de Mina et réfléchissons avec elle à ce qu’elle peut mettre en place au quotidien pour aller mieux. Récemment, elle s’est mise au crochet, ce qui lui permet d’occuper ses mains et de ne pas se faire du mal. La jeune fille commence à réfléchir à son avenir, et pense demander une chambre universitaire, même si elle continuera à vivre la majeure partie du temps avec sa mère.
Une flamme minuscule
Ce jour-là, Mina est triste, et a le regard fuyant. Tout est « bof » et rien ne va. Elle s’assied face à nous en faisant la moue. Elle se sent vide et ne ressent rien, même pas la douleur et la tristesse. Elle confie qu’elle ne prend pas de plaisir à voir ses camarades en ce moment, pas même Lou, sa « meilleure amie », à qui elle dit tout…
Je finis par me dire que rien ne pourra dérider Mina aujourd’hui. Son spleen est si fort qu’il rend la pièce noire comme ses pensées. Je garde le silence. Mina tourne sa tête vers moi et son regard s’arrête sur le livre posé sur l’étagère près de mon bureau. Il s’agit de À l’ombre des jeunes filles en fleurs, de Proust. Mina se souvient alors qu’elle a lu Du côté de chez Swann. Je rebondis : sait-elle que Proust a beaucoup vécu avec sa mère et qu’il a écrit presque tous ses romans dans son lit ? Mina hoche la tête : elle a visité la maison de l’écrivain avec sa classe. Elle se souvient des panneaux de liège qui tapissaient sa chambre pour le protéger du bruit de la rue et des pollens qui pouvaient lui donner de l’asthme. Je lui raconte que Proust ne pouvait pas sortir de chez lui au printemps et en été à cause de ses crises d’asthme. La vue de fleurs suffisait à en déclencher une alors qu’il les adorait, particulièrement les aubépines.
« Ah moi aussi, j’adore les aubépines, me dit Mina avec un sourire. Quand j’étais petite, j’en ramassais les fruits et nous faisions des confitures avec ma mère. J’adorais ce goût le matin sur mes tartines… » Enfin Mina s’éveille un peu de sa torpeur et de sa morosité pour me parler des fleurs qu’elle aime. Elle regarde le livre avec compassion : « Quand même, le pauvre ! » Il suffit parfois d’un petit rien pour faire renaître, un court instant, une minuscule flamme…
Virginie De Meulder
Infirmière, Consultation jeunes adultes NineTeen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences