Prévalence inquiétante des violences sexistes et sexuelles contre les infirmières

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Une enquête de l’Ordre National des Infirmiers (ONI) révèle l’ampleur des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des infirmières et infirmiers. Aucun lieu d’exercice n’est épargné et la « résignation » des victimes est préoccupante L’ONI s’engage et avance plusieurs propositions.

Le mouvement #MeToo à l’hôpital a permis une nécessaire levée du silence qui règne depuis trop longtemps sur les violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les soignantes et soignants. Dans le sillage de ce mouvement, l’Ordre National des Infirmiers a souhaité être force de propositions, pour apporter des solutions à ce problème majeur, face auquel infirmières et infirmiers sont particulièrement vulnérables.

Pour bâtir ses propositions, l’Ordre a souhaité donner la parole aux infirmières et infirmiers, pour quantifier la prévalence des VSS visant nos consœurs et confrères, pour faire entendre leurs voix et leurs solutions. Pour ce faire, l’ONI a mené une consultation en ligne, à laquelle plus de 21 000 infirmières et infirmiers ont répondu, dont 19 092 infirmières – une proportion proche de celle qui est la leur au sein du corps infirmier.

Une prévalence effrayante des violences sexistes et sexuelles contre les infirmières et infirmiers

Les constats qui ressortent de cette consultation doivent interpeller les pouvoirs publics, et tous les acteurs de notre système de santé, tant l’ampleur des violences et des VSS à l’encontre des infirmières et infirmiers est importante.

Ainsi, 64% des infirmières et infirmiers ayant pris part à cette consultation ont déjà été victimes de violences dans le cadre de leur exercice professionnel. Près d’un répondant sur quatre nous dit aujourd’hui ne pas se sentir en sécurité sur son lieu d’exercice professionnel.

Le taux de victimisation est tout aussi grave en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles plus particulièrement, puisque près de la moitié (49%) des répondants déclarent avoir déjà été victime d’au moins un type de VSS – 53% chez les infirmières, et 24% chez les infirmiers :

  • 39% citent des réflexions inappropriées ou dégradantes du fait de leur genre ;
  • 21% des outrages sexistes ;
  • 4% des agressions sexuelles ;
  • 0,13% des viols.

Des impacts délétères sur la vie personnelle comme professionnelle

Il serait d’autant plus intolérable de minimiser l’ampleur de ces faits que leur impact sur la vie personnelle des victimes est considérable :

  • Pour 34% d’entre elles, ces faits ont eu un impact sur la santé ;
  • 24% des victimes font état d’effets sur leur vie sociale ou sur leur vie intime.

Par ailleurs, l’impact de ces violences est également délétère en ce qui concerne la vie professionnelle des infirmières et infirmiers, avec des conséquences directes pour leurs carrières et la prise en charge des patients :

  • 37% déclarent que ces VSS ont fait naître chez eux un sentiment d’insécurité au travail ;
  • 19% qu’elles ont provoqué une détérioration de leurs relations de travail ;
  • 14% qu’elles ont des répercussions sur leur rapport au travail (absentéisme, démotivation…) ;
  • Et 12% que ces VSS ont entraîné leur changement de secteur d’activité.

Aucun lieu d’exercice n’est épargné

Les violences sexistes et sexuelles interviennent dans tous les lieux d’exercice – aucun n’en est immunisé. Si l’hôpital ou les établissements de santé sont les principaux lieux de passage à l’acte (cités par 75% des répondants), les VSS peuvent également intervenir dans le cadre d’un exercice libéral (31%), lors de sa formation continue (5%), mais aussi dans toute la diversité des contextes d’exercice cités par les répondants : dans des établissements scolaires, en entreprise, lors de congrès, dans des laboratoires d’analyses médicales…

Particulièrement dramatique, près d’une infirmière ou d’un infirmier sur quatre déclare avoir été victime de VSS dès sa formation initiale – période de grande vulnérabilité, et enjeu dont nous devons nous saisir urgemment, alors qu’un étudiant infirmier sur 10 abandonne ses études dès la première année, 7% en 2e année, et 4% en 3e année, selon la DREES. Plus grave encore, ce taux atteint 30% chez les infirmiers diplômés depuis moins de 5 ans – et 43% pour les diplômés depuis moins de deux ans. Ces chiffres témoignent du fait que le problème reste trop prévalent pour les jeunes infirmiers.

Cette importante variété de lieux a un malheureux corollaire : une très grande variété d’auteurs possibles de ces VSS, qui sont autant de vulnérabilités pour les infirmiers. Les patients sont les premiers auteurs cités, par 60% des victimes – mais par 80% des infirmiers exerçant en libéral, un exercice qui entraîne notamment davantage de visites au domicile du patient. A contrario, les infirmiers exerçant à l’hôpital sont plus vulnérables face aux autres professionnels de santé (57% de citations contre 47% en moyenne) et à leurs collègues infirmiers (18% contre 15%). Mais ces violences peuvent également être exercées par un responsable hiérarchique (cités par 14% des victimes, mais par 25% des infirmiers exerçant en milieu scolaire ou 20% de ceux exerçant dans le médico-social) ou encore par un responsable administratif (cités par 3% des victimes, mais 10% des infirmiers en milieu scolaire).

Trois facteurs favorisent très nettement la prévalence importante des violences sexistes ou sexuelles à leur encontre :

  • La culture carabine (71%) ;
  • Des rapports hiérarchiques et fonctionnels déséquilibrés (59%) ;
  • Une culture du silence qui reste prégnante au sein des établissements de santé (53%).

Sont également mis en cause des locaux inadaptés (vestiaires mixtes, salles de pause trop petites – 17%) ou encore l’organisation des services, et notamment le fait de travailler la nuit (9%).

Près de la moitié (49 %) des répondants déclarent avoir déjà été victime d’au moins un type de VSS (53 % chez les infirmières et 24 % chez les infirmiers)

Une résignation inquiétante des victimes

Face à ces violences, on constate malheureusement une forme de résignation. Parmi les infirmières et infirmiers victimes, 38% déclarent ainsi n’avoir entrepris aucune démarche après avoir subi des violences sexistes ou sexuelles. Et, parmi les victimes déclarant avoir réagi, les premières démarches consistent à se tourner vers ses collègues (57%) ou ses proches (39%), sans saisir les autorités : seules 2% des victimes ont porté plainte, et la même proportion a déposé une main courante. Parmi les infirmiers travaillant en établissement, seuls 11% des victimes déclarent avoir accompli des démarches au sein de leur service ou de leur établissement.

Ce renoncement à agir s’explique en premier lieu par une forme de fatalisme, face aux VSS (67%). Mais elle a d’autres fondements, qui pointent cependant des pistes d’action concrètes :

  • Une crainte de répercussions pour son exercice ou sa carrière (36%) ;
  • Une crainte de ne pas être entendu (28%) ;
  • Un manque d’information sur les moyens d’actions (19%) ;
  • Une appréhension à accomplir seul les démarches (10%).

Par ailleurs, 46% des répondants déclaraient plutôt ne pas connaître leurs droits et les démarches possibles s’ils étaient victimes de VSS, et 18% ne pas les connaître du tout !

Un léger motif d’espoir existe néanmoins : pour 60% des répondants, une prise de conscience est à l’œuvre pour mieux lutter contre les violences sexistes ou sexuelles – une proportion similaire quel que soit le collège d’exercice des répondants. 87% d’entre eux estiment cependant illusoire la mise en œuvre de politiques de « tolérance zéro » parfois annoncées par des responsables politiques ou du monde sanitaire.

Face au VSS, le diptyque « sanctionner et prévenir »

Parmi les solutions à mettre en œuvre, l’enjeu de la prise en compte de la parole des victimes et des sanctions apparaît comme primordial aux yeux des infirmiers. Ils appellent ainsi en premier lieu à « renforcer les sanctions administratives pour les professionnels de santé salariés ou hospitaliers auteurs de violences sexistes et sexuelles » (cité par 54% des répondants), à « améliorer le traitement des plaintes par une meilleure coordination avec les procureurs de la République » (34%), puis à « mettre en place des systèmes déclaratifs simplifiés au sein des établissements », pour simplifier les démarches des victimes (32%).

Mais l’importance de la prévention et de l’éducation comme second levier de lutte est également mise en avant. 30% des répondants citent ainsi l’importance d’intégrer « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles comme critère d’évaluation dans les grilles de certification et d’évaluation externe des établissements », et 26% celle de « développer des programmes de sensibilisation et de formation continue sur les violences sexistes et sexuelles pour tout le personnel soignant et administratif ». Enfin, il semble urgent pour 25% des infirmières et infirmiers qu’ils soient formés, comme tout le personnel dans les établissements, aux mécanismes de signalement et sur les structures d’aide disponibles, et pour 16% d’entre eux de « prévenir par l’information au sein des établissements et des CPAM pour les professionnels de santé libéraux. »

Les propositions du CNOI pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles

Prévenir les violences sexistes et sexuelles

  • Former l’ensemble des professionnels de santé et personnels administratifs aux VSS dès la formation initiale, et intégrer la formation aux VSS dans les priorités de la formation continue.
  • Inclure un critère sur la politique de lutte contre les VSS dans les grilles de certification et d’évaluation externe des établissements sanitaires et médico-sociaux
  • Conclure les conventions police-justice-Ordre dans tous les territoires, pour permettre la mise en œuvre de systèmes d’alerte et la meilleure prise en compte de toute plainte ou signalement émanant d’un professionnel de santé.

Accompagner les victimes de violences sexistes et sexuelles

  • Développer les systèmes de soutien et d’accompagnement
  • Mettre en place des systèmes de déclaration et d’accompagnement au plus près des. professionnels, au sein des établissements mais également pour les libéraux.
  • Permettre le retrait des professionnels libéraux du domicile en cas de menaces

Sanctionner les auteurs de violences sexistes et sexuelles

  • Mettre en place un véritable dispositif santé-police-justice ayant pour priorité les violences contre les soignants.
  • Mettre en place des sanctions administratives qui protègent les victimes en éloignant les harceleurs.
Les engagements de l’ONI pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles

L’Ordre national des Infirmiers entend mener en 2025 une campagne d’information spécifique sur le rôle que peut jouer l’Ordre aux côtés des victimes, via le dispositif d’entraide, qui est une de ses missions constitutives, et le soutien notamment juridique : l’Ordre peut ainsi se constituer partie civile aux côtés de la victime et s’associer à toute plainte d’infirmière ou d’infirmier contre son agresseur.

L’Ordre national entend renforcer la formation des référents violence de chaque conseil départemental et interdépartemental de l’Ordre, dans le cadre de sa convention avec la Miprof, afin que toute victime trouve auprès de son conseil une écoute et un soutien attentifs.

L’Ordre national des Infirmiers a d’ores et déjà créé sur son site un formulaire de contact dédié, qui lui permet d’intervenir au plus vite aux côtés des victimes, en lien constant avec les « référents violence » de chaque conseil départemental et interdépartemental de l’Ordre. L’accès à ce formulaire de contact sera simplifié. Sont également disponibles sur le site de l’Ordre cinq fiches pédagogiques de lutte contre les violences.