N° 293 - Décembre 2024

« Il y a du monde dont il faut s’occuper… »

Auteur(s) : Ahmed BENAICHE, Infirmier spécialiste cliniqueNbre de pages : 6
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Lors de leur pause déjeuner, les soignants du CMP évoquent les moments partagés avec « leurs » patients. Comment qualifier ce qui ne s'inscrit pas nécessairement dans un projet thérapeutique mais relève incontestablement de la sollicitude ?

Midi trente au Centre médico-psychologique (CMP), c’est l’heure de la pause. Anna, Charlotte (infirmières), Aurore (psychologue) et Luc (psychiatre) se retrouvent à l’office et dissertent sur l’art subtil de cuisiner les restes et sur les dernières tendances de plats surgelés…
• Entre autres sujets, Anna évoque Kevin, un patient qui a participé à l’activité piscine la veille. Même sur les temps de coupure, difficile de ne pas parler de ceux dont on s’occupe. Ce patient, schizophrène paranoïde stabilisé à l’allure patibulaire, gère son diabète insulino-dépendant à sa façon, malgré les passages en hospitalisation de jour de diabétologie et l’éducation thérapeutique reçue, y compris en psychiatrie. Il est arrivé à l’activité piscine en déclarant « j’fais attention à ce que je mange, Madame Anna, c’est fini pour moi le sucre », tout en arborant d’évidentes traces de chocolat autour de la bouche, ce qui n’a pas manqué de faire sourire les soignants présents. Toujours très adhésif avec eux, y compris en nageant, Kevin répète régulièrement combien il est souvent perdu et seul pour les actes sortant du quotidien, ce qui fait qu’il sort peu de chez lui. C’est ainsi qu’Anna l’a accompagné récemment fleurir la tombe de ses parents. Elle ne manque pas de préciser les bénéfices thérapeutiques des activités pour Kevin. Lui qui entend des voix malgré sa médication et paraît dissocié dans la perception de son corps, verbalise la diminution de son angoisse dans le contexte d’interactions protégées et bienveillantes, ainsi que son plaisir à nager. Dans un temps « libre » de l’activité, Anna a retrouvé Kevin dans le petit bassin, en train de faire la planche, seul parmi la foule des enfants et des adolescents criants et sautant en cette période de vacances scolaires. Nullement gêné par l’environnement, il paraissait totalement détaché et détendu donnant l’impression d’éprouver son corps, un peu comme si le dedans et le dehors se connectaient à la faveur du brouhaha.
Tour à tour, chaque soignant évoque un patient marquant, une rencontre récente qui l’a fait sourire ou réfléchir.

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