Favoriser l’accueil individuel, revaloriser les conditions d’exercice des assistantes maternelles, réformer les congés parentaux… Dans son évaluation de la « politique d’accueil du jeune enfant », la Cour des Comptes souligne que « l’objectif de déploiement d’une offre adaptée, de qualité et équilibrée entre les territoires est loin d’être atteint » et formule plusieurs recommandations. Communiqué.
La présente évaluation de politique publique émanant de la Cour des Comptes vise à répondre à trois questions :
- la politique d’accueil du jeune enfant permet-elle la création d’une offre adaptée, de qualité et équilibrée entre les territoires ?;
- les dispositifs de financement public permettent-ils d’assurer une offre financièrement accessible à toutes les familles, dans le respect des contraintes financières des acteurs publics ? ;
- l’accueil formel* permet-il de concilier la vie professionnelle et la vie familiale ?
La politique d’accueil du jeune enfant comprend l’ensemble des actions visant à développer des solutions d’accueil et de garde des enfants âgés de moins de trois ans, soit 2,17 millions d’enfants en janvier 2023. Dans les années 1970, des aides ont été accordées aux parents gardant leurs enfants et aux assistantes maternelles. Une priorité visait à développer l’offre pour permettre aux mères de retrouver une activité professionnelle rapidement après la naissance. L’organisation des modalités d’accueil des jeunes enfants a conduit, en particulier, à soutenir l’activité d’assistante maternelle pour développer l’accueil individuel et à structurer, sur le plan juridique, une offre diversifiée d’accueil dans les crèches, qui assurent l’essentiel de l’accueil collectif. L’ensemble de ces financements, versés par les caisses d’allocations familiales et la Mutualité sociale agricole, par les collectivités territoriales ou supportés par l’État, représentant près de 90 % des dépenses réalisées pour l’accueil du jeune enfant. L’enquête, réalisée par la Cour et les chambres régionales des comptes de Bourgogne-Franche-Comté, de Bretagne et des Pays de la Loire, qui s’est appuyée sur onze contrôles de collectivités ou d’organismes locaux, vise notamment à identifier les difficultés rencontrées et à formuler des recommandations pour y remédier.
Une multiplicité de formules d’accueil et de garde fortement soutenue par des financements publics
Les objectifs et les acteurs de la politique d’accueil du jeune enfant se sont diversifiés, tandis que ses dispositifs se sont complexifiés. Par opposition avec la garde parentale, l’accueil formel recouvre l’offre juridiquement organisée et aidée par les pouvoirs publics, mise en œuvre par des opérateurs publics, associatifs ou privés marchands. Principe régulièrement réaffirmé, le libre choix du mode de garde est compris comme la mise à disposition de tous les modes d’accueil pour tous les parents. Ce principe est parfois interprété comme la possibilité de choisir parmi les modes de garde disponibles sans barrière financière, ce qui est irréaliste au regard des contraintes de finances publiques. Des dispositifs financent directement des établissements d’accueil du jeune enfant, notamment les crèches bénéficiaires de la prestation de service unique, tandis que d’autres soutiennent financièrement les familles dans l’accès aux diverses formes d’accueil en leur allouant des aides, ou en leur accordant des crédits d’impôt. Ces financements publics ont représenté 16,1 Md€ en 2022, soit près de 90% de l’ensemble des dépenses liées à la garde d’enfant. Fin 2022, 1,31 million de places d’accueil formel étaient proposées à 2,17 millions d’enfants de moins de 3 ans, soit un taux de couverture de 60,3%. Le système apparaît complexe par le nombre de dispositifs et des interactions entre intervenants.
Une offre inégale entre les territoires en densité et en qualité
Les politiques d’accueil du jeune enfant déclinées territorialement ont permis la création d’une offre diverse et hétérogène mais inégalement répartie selon les territoires et ne permettant pas de satisfaire un cinquième de la demande des familles. La part des parents d’enfants de moins de 3 ans ne bénéficiant ni d’une place d’accueil ni d’une indemnisation pour la garde parentale est passée de 23,3% en 2014 à près de 29% en 2022. Cette situation résulte d’un manque d’offre global, qui se double d’une couverture des territoires à plus haut niveau de vie en structure d’accueil collectif, tandis que ceux à plus faible niveau de vie bénéficient davantage d’une offre d’accueil individuel. D’autre part, le départ massif à la retraite des assistantes maternelles, ainsi que la pénurie de professionnels diplômés de la petite enfance freine le développement de l’offre d’accueil du jeune enfant tant sur le plan quantitatif que qualitatif, fragilisant ainsi l’objectif des pouvoirs publics de créer 200 000 places d’accueil formel d’ici 2030. La complexité du système freine l’accès aux familles socialement ou culturellement désavantagées et les processus d’attribution manquent encore de transparence.
Des financements publics de moins en moins soutenables, sans permettre une offre financièrement accessible à toutes les familles
Les familles aux revenus modestes recourent globalement moins aux modes d’accueil formel en raison de leur coût qui peut se révéler dissuasif. L’accueil collectif dans des établissements financés par la prestation de service unique leur est plus accessible financièrement, alors que l’accueil chez les assistantes maternelles est celui qui offre le plus de places. L’écart de reste à charge pour les familles est également marqué entre la crèche financée par la prestation de service universel unique et l’accueil par une assistante maternelle, nettement plus coûteux pour les familles disposant de faibles revenus. Les crèches financées par la prestation de service unique, plus accessibles pour les familles, constituent pourtant le mode d’accueil le plus onéreux pour la collectivité. La réforme du complément de mode de garde, qui prendra effet en 2025 permettra d’atténuer cette inégalité d’accès. Toutefois, la dépense publique paraît mal maîtrisée. Plusieurs projets déjà actés ou à l’examen, comme l’augmentation du nombre d’adultes par enfant en crèche, pourraient alourdir le coût pour les finances publiques de plusieurs milliards d’euros par an.
Un accueil qui permet de concilier vie professionnelle et vie familiale pour la plupart des parents en emploi
L’atteinte de l’objectif de conciliation entre vie professionnelle et familiale a été analysée selon la situation professionnelle des parents. Plus les parents travaillent, plus leurs enfants bénéficient d’un accueil formel (jusqu’à 82 % dans le cas où les deux travaillent), tandis que le taux d’activité des mères de jeunes enfants diminue avec le nombre d’enfants. La reprise après un congé de maternité ou parental est diversement accompagnée par les entreprises. L’appui éventuel de l’employeur par une politique de soutien à la parentalité est lié au besoin d’attirer et de fidéliser des salariés en âge d’avoir des enfants. Le développement du télétravail a ouvert de nouvelles possibilités dans ce domaine. Le congé de maternité accordé pour les deux premiers enfants est de courte durée en France, par comparaison avec d’autres pays de l’OCDE. Dans un contexte de pénurie de professionnels de la petite enfance, un allongement d’un mois du congé de maternité et une meilleure indemnisation de la garde parentale permettraient de réduire le besoin de garde formelle de l’ordre de 105 000 berceaux, pour un coût net d’environ 710 M€ par an.
*C’est-à-dire les places d’accueil aidées et encadrées par les pouvoirs publics . L’accueil formel recouvre différents modes de garde : assistante maternelle employée directement par des particuliers, salariée à domicile, établissement d’accueil du jeune enfant (crèche collective, crèche familiale, multi-accueils, micro-crèche, halte-garderie), école maternelle en préscolarisation.
Les recommandations de la Cour des comptes
• Améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande
– Pour développer les crèches financées par la prestation de service unique dans les territoires sous-dotés
et moins favorisés, renforcer la part des financements de la branche famille liés aux spécificités du territoire
d’implantation et réduire d’autant la part de financement liée à l’activité.
– Pour réduire la demande d’accueil du jeune enfant, allonger le congé de maternité d’un mois et revaloriser
l’indemnisation du congé parental, celle-ci étant versée pendant une durée plus courte.
• Renforcer la qualité de l’accueil du jeune enfant
– Introduire, dans les référentiels de qualité, des seuils d’alerte relatifs aux coûts minimaux des prestations, notamment en matière de personnel et de repas.
– Centraliser et publier les résultats des contrôles des modes d’accueil réalisés localement et mettre en oeuvre un système de sanctions graduées en cas de manquement.
– Établir le calcul de la prestation de service unique non plus en fonction d’un prix de revient horaire, mais d’un prix de revient à la demi-journée
• Définir une stratégie et organiser le pilotage
– Développer une stratégie nationale interministérielle, fruit d’une concertation avec l’ensemble des acteurs de la politique d’accueil du jeune enfant, sur l’offre, sa qualité, son financement et l’attractivité des métiers de la petite enfance.
– Couvrir l’ensemble du territoire de documents de planification locaux et pluriannuels relatifs à l’accueil du jeune enfant, conformes aux schémas départementaux des services aux familles.
Améliorer l’équité et la répartition entre financeurs
– Réviser annuellement le barème national des participations familiales de la prestation de service unique, y compris son plafond.
– Sous réserve de redéployer des moyens équivalents en faveur du développement de l’offre dans les territoires sous-dotés, supprimer le crédit d’impôt famille à l’horizon de la prochaine convention d’objectifs et de gestion pour laisser aux opérateurs le temps d’adapter leurs modèles économiques.
• La politique d’accueil du jeune enfant, communiqué de la Cour des Comptes, 12 décembre 2024.
• Lire le rapport « La politique d’accueil du jeune enfant » – Évaluation de politique publique – Décembre 2024.