« Je regrette tous les jours »

N° 292 - Novembre 2024
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Pressée par son petit ami, Sabrina, 18 ans, a subi une IVG chirurgicale et présenté un état confusionnel en salle de réveil. Une infirmière l’aide à mettre des mots sur ce vécu douloureux.

Sabrina, 18 ans, a été adressée en juillet dernier à la consultation Nineteen par l’hôpital, après une interruption volontaire de grossesse (IVG) chirurgicale. Le compte rendu de cette intervention rapporte un état confusionnel en salle de réveil, avec une angoisse importante où la jeune fille demandait à voir son bébé. Marquée par cet épisode, Sabrina montre une certaine détresse et une forte culpabilité.

« Je pensais que j’étais trop jeune »
Au premier entretien infirmier, la jeune fille semble très intimidée et regarde le sol. Nous nous rendons compte rapidement qu’elle n’a pas parlé de l’IVG à ses parents, chez qui elle vit, ni à personne de son entourage, hormis son ex- petit ami, Théo. Nous tâchons de la mettre en confiance et l’assurons du secret professionnel qui entoure nos rencontres.
Sabrina vient d’entrer en terminale. Évoquant son quotidien et ses goûts, elle paraît dynamique. Elle raconte qu’elle parle plusieurs langues, aime regarder des films en version originale et voyager. Elle a rencontré Théo au lycée et, « très amoureuse », a accepté d’avoir des relations sexuelles avec lui. Elle se pensait trop jeune pour « tomber » enceinte… Face à des vomissements, des nausées et une aménorrhée, elle a acheté un test de grossesse et a montré le résultat positif à Théo. Effrayé, le jeune homme lui a immédiatement demandé d’avorter. Il a pris un premier rendez-vous pour elle au Planning familial, et l’a assurée qu’il l’accompagnerait dans toutes les démarches. Sabrina s’est d’abord sentie soutenue puis elle a compris que Théo la « surveillait » pour s’assurer qu’elle mène son avortement jusqu’au bout.
Même si elle les trouve « plutôt bienveillants », elle n’a pas pu se confier à ses parents. Dépassée, poussée par Théo, qui restait déterminé, Sabrina s’est rendue à l’hôpital pour avorter, car la grossesse était trop avancée. « Je ne voulais pas le forcer à être père », confie-t-elle. Elle pleurait en attendant l’opération, car au fond d’elle-même, elle refusait l’IVG. Elle ne décrit pas d’hallucinations ni de confusion post-réveil mais plutôt une surprise et un temps assez long avant de se rendre compte que l’intervention était terminée. Sabrina savait qu’elle n’était plus enceinte. Une semaine plus tard, Théo l’a quittée, ce qui l’a beaucoup affectée. Aujourd’hui, elle se sent toujours blessée, regrette « tous les jours » d’avoir avorté, même si elle se sait trop jeune pour avoir un bébé. En ce début d’année, elle se retrouve dans la même classe que Théo, ce qui réactive sa douleur et les ruminations.

« Ma mère va pleurer »
Petit à petit, Sabrina raconte son enfance et relation avec ses parents. Elle ne parvient toujours pas à leur parler : elle pense qu’ils auraient mieux réagi si elle avait gardé l’enfant car ils sont croyants et très pratiquants. « Ma mère va pleurer, elle va s’inquiéter et me faire des reproches. Mon père pourrait peut-être mieux me comprendre mais je ne veux pas qu’ils fassent des histoires. Je préfère garder ça pour moi. »
Sabrina se sent proche de son père, pourtant souvent absent. Le couple n’a jamais évoqué de séparation mais la jeune fille garde le souvenir de sa mère pleurant, attendant son mari. Celui-ci a quitté le domicile conjugal durant quelques années puis il est revenu. À l’époque, Sabrina lui en a beaucoup voulu. Elle se souvient aussi de sa grande complicité avec son père quand elle était plus petite, de voyages qu’elle a faits avec lui, de câlins, alors que sa mère était plus distante.
La jeune fille présente quelques symptômes de dépression : elle est triste tous les jours, dort assez mal et n’éprouve plus de plaisir à sortir avec des amis ou à faire les boutiques. Elle parvient cependant à aller en cours et à se projeter dans l’avenir. Elle n’a pas d’idées noires.
En discutant en staff avec les médecins, nous décidons dans un premier temps de mettre en place des entretiens infirmiers pour permettre à Sabrina de verbaliser. Nous aimerions aussi l’amener à se confier davantage à sa famille, qui pourrait être un soutien et une ressource. Sur un autre plan, un de nos objectifs est d’évoquer sa sexualité et la contraception, mais Sabrina est réticente. Nous espérons l’orienter vers un accompagnement du Planning familial par exemple.
Si son état clinique se détériore, nous lui proposerons de voir un psychiatre et peut-être de prendre un traitement médicamenteux mais à ce stade l’enjeu est d’abord de l’aider à élaborer son vécu traumatique pour mieux l’accepter.

Virginie de Meulder
Infirmière, Consultation jeunes adultes NineTeen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences