Originaire des Antilles, Clarisse, la vingtaine, est arrivée à Paris en septembre dernier pour suivre des études de comptabilité. C’est une jeune femme discrète, plutôt mutique, qui répond de manière laconique à mes questions. Nous la suivons depuis décembre, car elle se sent très déprimée et a des antécédents : à 15 ans, après une agression, elle a fait une tentative de suicide médicamenteuse et a été hospitalisée.
« Je suis nulle »…
Clarisse est une jeune fille très isolée. Elle ne connaît personne dans sa résidence universitaire et n’a pas noué de liens à l’université. Depuis la rentrée, elle a perdu 5 kilos, car elle a du mal à cuisiner et n’ose pas manger au restaurant universitaire, par peur du regard des autres.
Questionnée sur ses idées suicidaires, elle baisse la tête, hésite puis murmure : « Parfois, je pense à me jeter sous le métro mais j’ai trop peur de déranger les usagers et qu’ils soient en retard ou ratent un rendez-vous important à cause de moi… ».
La psychiatre de Nineteen lui a prescrit un traitement antidépresseur (Effexor®) et du Théralène® pour l’aider à dormir, avec une surveillance infirmière régulière.
Il se trouve que je porte le même prénom qu’une infirmière qui l’a beaucoup aidée lors de son hospitalisation… Clarisse se confie à moi assez rapidement, même si les débuts d’entretiens sont souvent laborieux. Elle cherche ses mots, hésite à formuler ce qui la fait souffrir…
L’étudiante évoque rapidement sa famille et décrit de nombreuses carences affectives durant son enfance, avec une mère absente et des beaux-pères peu engagés. Elle est l’aînée, et ses quatre frères et sœurs lui manquent beaucoup : elle s’est toujours beaucoup occupée « des petits » et culpabilise, les sachant « livrés à eux-mêmes ». Elle sait que son départ était nécessaire pour ses études mais reste « tiraillée ». Je suggère à Clarisse de dresser la liste de ses qualités pour le prochain rendez-vous, afin de diminuer ses pensées négatives et la pousser à chercher ses points positifs. La semaine suivante, elle parvient timidement à se dire sensible, fidèle, drôle et empathique. Au fur et à mesure des entretiens, Clarisse se dévoile et nous essayons de trouver des solutions à ses problèmes en les décortiquant et en mettant en place diverses stratégies ou pensées alternatives.
Pas à pas…
Clarisse a tout de même fait la connaissance d’une étudiante de sa promotion, Lucie, plutôt sympathique et bienveillante. Un jour, après avoir constaté son absence, Lucie lui envoie un message, pour savoir comment elle va. Clarisse n’ose pas lui répondre ou l’appeler : « Je risque de la déranger avec mes problèmes et de lui gâcher sa journée. » En réfléchissant longuement, elle admet que parler de ses difficultés est une marque de confiance, qui pourrait resserrer leurs liens.
Une autre fois, Clarisse m’explique qu’elle doit présenter le lendemain un exposé devant son groupe en classe. Elle craint de se ridiculiser. Au lycée, ses exposés étaient toujours parfaits, elle estime qu’elle n’a pas le droit à l’erreur, mais va forcément échouer à cette épreuve. Ensemble, nous pointons les éléments positifs : son travail est bien préparé, elle a suivi les instructions du professeur et a répondu aux attendus. La semaine suivante, elle m’annonce qu’elle ne s’est finalement pas rendue au cours, et n’a pas fait son exposé. Je lui demande malgré tout ce qu’elle retient de positif, même si l’exposé reste inabouti. Elle peut me dire qu’elle a pris plaisir à le réaliser tout en améliorant ses connaissances.
Je la félicite pour ses progrès et Clarisse convient qu’elle se trouve moins triste, dort un peu mieux et va davantage vers les autres depuis la mise en place du traitement et des entretiens infirmiers. Elle trouve plus facilement des sujets de conversations avec les personnes qu’elle ne connaît pas et nous mesurons ensemble ses petits progrès du quotidien, même s’ils restent entrecoupés de rechutes et de moments de tristesse et de désespoirs plus brefs.
Faire la paix avec soi-même
Clarisse va bientôt intégrer un groupe d’affirmation de soi, pour s’exercer avec d’autres jeunes et des thérapeutes bienveillants à faire des demandes et savoir en refuser sans culpabilité. Elle me rencontre régulièrement, ainsi que son psychiatre, pour « faire la paix avec elle-même », se convaincre qu’elle n’est pas, comme elle le pense encore, « une mauvaise fille », apprendre à s’ouvrir et à faire confiance aux autres pour créer d’autres relations et s’épanouir…
Virginie de meulder
Infirmière, Consultation jeunes adultes NineTeen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.