Cet article, à lire gratuitement sur le site de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (Oiiq) présente le concept émergent de « sécurisation culturelle en santé », pour des « soins prodigués dans le respect de l’identité culturelle du patient ». Cette approche vise à rétablir les inégalités de pouvoir observées entre les soignants et les patients. Elle amène les soignants à prendre conscience des structures qui engendrent des inégalités : les relations de pouvoir, la marginalisation de certains groupes, les biais culturels et le racisme, par exemple.
En 2008, Brian Sinclair, un Autochtone de Winnipeg (Canada) de 45 ans, est décédé de complications secondaires de la cystite après avoir passé 34 heures aux urgence sans recevoir de soins. Des témoins avaient signalé au personnel infirmier que ce patient se trouvait dans un état de détresse, mais aucune intervention ne semble avoir été mise en œuvre pour le soulager. Le médecin légiste a pourtant affirmé que cette infection aurait pu être soignée. Cet événement soulève plusieurs questions sur les préjugés tenaces des professionnels de la santé à l’encontre des populations autochtones.
Depuis des décennies, des inégalités en matière de santé persistent dans les populations autochtones [Premières Nations, Métis et Inuits] (MacMillan, MacMillan, Offord et Dingle, 1996). Selon une étude (Park, Tjepkema, Goedhuis et Pennock, 2015) qui corrobore les conclusions d’autres recherches, le risque de décès prématuré est plus élevé chez les Autochtones. Ces derniers sont de 2 à 2,5 fois plus susceptibles de mourir de causes évitables. Avec une prévalence de trois à cinq fois plus élevée chez les Autochtones que chez les Allochtones (non-Autochtones), le diabète est l’une des causes de cette surmortalité (Santé Canada, 2016). Le risque de souffrir de maladies cardiovasculaires est également 1,5 fois plus élevé chez les Autochtones (CSSSPNQL, 2013).
Ces statistiques fort préoccupantes illustrent l’importance pour les professionnels de la santé de connaître et de respecter les différences culturelles des Autochtones afin de mieux les soigner. Le rapport de l’enquête publique sur la mort de M. Sinclair (2014) a d’ailleurs relevé le manque de connaissances à ce sujet et a fait porter l’une de ses recommandations sur la mise en œuvre d’une formation obligatoire sur la sécurisation culturelle pour les professionnels de la santé. Mais qu’est-ce que la sécurisation culturelle ?
Historique
Précisons d’abord que, si les expressions « sécurisation culturelle » et « sécurité culturelle » sont parfois utilisées de manière interchangeable, le gouvernement canadien utilise l’appellation « sécurisation culturelle » (Lévesque, Radu et Sokoloff, 2014). Le concept de sécurisation culturelle a vu le jour en Nouvelle-Zélande dans les années 1980, alors que l’infirmière et chercheuse d’origine maorie Irihapeti Ramsden cherchait à atténuer l’insatisfaction du peuple maori – les Autochtones de la Nouvelle-Zélande – à l’égard des soins infirmiers qui leur étaient prodigués (Nursing Council of New Zealand, 2011). Ses travaux ont permis de mieux outiller les professionnels de la santé afin qu’ils donnent aux Maoris des soins « culturellement sécuritaires » visant à diminuer les disparités en matière de santé (Doutrich, Arcus, Dekker, Spuck et Pollock-Robinson, 2012).
Si les problématiques de santé − obésité, tabagisme et diabète − sont les mêmes pour les Maoris et les Autochtones d’Amérique du Nord (Bramley, Hebert, Tuzzio et Chassin, 2005), les différences entre Autochtones et Allochtones en ce qui a trait aux indicateurs de santé sont également similaires en Nouvelle-Zélande et en Amérique du Nord (Bramley et al., 2005; Smye et Browne, 2002).
Définition
La sécurisation culturelle désigne des soins qui sont prodigués dans le respect de l’identité culturelle du patient, qui visent l’équité et qui sont exempts de relations de pouvoir nocives entretenues par le système de santé dominant (AIIC, 2010; Downing, Kowal et Paradies, 2011; Garneau et Pepin, 2012; Rix, Barclay, Wilson, Stirling et Tong, 2013). En partant de la prémisse selon laquelle la société et la culture sont des phénomènes dynamiques, c’est-à-dire qu’ils évoluent dans le temps, la sécurisation culturelle fluctue également selon les contextes changeants de l’histoire (Doutrich et al., 2012). Elle est à la fois un processus et un résultat. Ce concept a trouvé écho auprès des communautés autochtones du Canada (Brascoupé et Waters, 2009). La sécurisation culturelle pourrait trouver écho auprès d’autres communautés, mais le concept à sa base même est en lien avec le rapport de domination et de colonialisme subi dans le passé par le peuple autochtone. Il ne s’applique donc pas aux autres communautés ethniques.