Dans quelle mesure un professionnel de santé peut-il utiliser son propre téléphone portable pour un motif personnel au cours de son exercice ? Les textes rappellent que tout soignant, durant son temps de travail, doit se consacrer exclusivement à son activité. Repères et points clés.
• Le temps de travail doit être consacré aux missions confiées au professionnel
Selon le Code du travail (1), « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
Le Code général de la fonction publique précise cette obligation pour les professionnels ayant le statut de fonctionnaire : « L’agent public consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. » (2).
Dès lors qu’il s’agit d’une obligation, le non-respect peut engendrer une sanction disciplinaire.
Pour autant, l’employeur est-il en droit d’interdire l’usage personnel du téléphone personnel ? La réponse est à nuancer puisqu’il ne peut porter atteinte aux libertés individuelles des personnes. Communiquer constitue en droit français une liberté individuelle fondamentale (3) .
• L’employeur doit respecter les libertés individuelles du soignant
Un article unique du Code de travail est consacré aux droits et libertés. Il précise : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » (4) .
Dans tous les domaines, la restriction d’une liberté individuelle doit être justifiée. Et plus précisément en l’espèce, elle doit être proportionnée à l’objectif recherché.
• Le cadrage au sein du règlement intérieur
Si le règlement intérieur de l’hôpital peut réglementer l’usage du téléphone personnel et rappeler son caractère « proportionné et adapté », il ne peut en aucun cas instaurer une interdiction (5). L’usage raisonnable du téléphone à des fins personnelles est toléré et la jurisprudence est relativement constante en la matière. Cette tolérance s’étend au matériel informatique de l’hôpital, qui peut donc être ponctuellement utilisé à des fins personnelles.
A contrario, un usage fréquent, répété, excessif peut engendrer une sanction disciplinaire. Il appartient aux juges d’apprécier le caractère déraisonnable.
Dans un souci de rigueur, précisons que certains environnements peuvent justifier une restriction plus stricte : c’est le cas des dispositifs médicaux exposés à des sources radiofréquences. Dans un avis de 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail (Anses) pointe que les patients, les visiteurs et le personnel soignant doivent éteindre leur portable dans « les lieux comportant des dispositifs électromédicaux à fonction critique ou servant au maintien de la vie (unité de soins intensifs, blocs opératoires, néonatalogie, services d’urgences…), ainsi qu’à proximité des lits de patients connectés à des dispositifs électromédicaux » (6).
• Éthique et respect de la personne soignée
Ce sujet rejoint une dimension éthique de la relation soignant-soigné. Ainsi, les hôpitaux reçoivent souvent des réclamations d’usagers relatant un sentiment d’irrespect, de manque de considération du fait de l’usage du téléphone personnel en leur présence. Ils mentionnent des conversations privées ou des temps récréatifs (jeux, réseaux sociaux…). La sensibilité peut être exacerbée selon le motif de la prise en soins, la pathologie du sujet. Un patient souffrant de paranoïa a pu imaginer que le soignant le photographiait.
• Qualité des soins
À l’hôpital, et notamment en santé mentale et psychiatrie, où les pathologies de la relation sont au premier plan, cet usage du téléphone personnel à des fins personnelles impacte la qualité et la sécurité des soins. Il ne doit donc pas être banalisé.
Par ailleurs, il va de soi que le professionnel de santé n’est pas autorisé à capturer l’image d’une personne (photographie, vidéo), ni à procéder à des enregistrements sonores : c’est le respect de la vie privée (7).
NB : Nous aborderons dans un prochain article la question de l’utilisation de biens personnels à la demande de l’employeur.
Valériane Dujardin-Lascaux
Juriste, EPSM des Flandres.
1– Loi n° Article L.3121-1 du Code du travail.
2– Article L.121-3 du Code général de la fonction publique.
3– Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
4– Article L.1121-1 du Code du travail.
5– L’article L.1321-3 du Code du travail dispose en son 2°) : « Le règlement intérieur ne peut contenir : 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; (…) ».
6– Avis de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), alimentation, environnement, travail. Rapport d’expertise collective Compatibilité électromagnétique des dispositifs médicaux exposés à des sources radiofréquences, avril 2016. Avis en lien avec la circulaire DH/EM n° 40 du 9 octobre 1995.
7– Article 9 du Code civil.