Cathie Maillot, Usagère en santé mentale depuis plus de 30 ans et créatrice du site de Solidarités Usagers Psy, rend hommage à son père, héros de la Résistance, probablement maniaco-dépressif, « incorrigible optimiste » dont le « comportement traduisait quelque chose de plus sombre ».
« Mon père, né en 1920, a eu un coup de foudre pour ma mère boulevard Saint Michel en 1945 quand il l’a vu marcher dans la rue. Il venait d’être libéré par l’armée américaine d’une prison allemande, avait rejoint la cohorte des déportés au Lutétia, et était probablement un peu livré à lui-même, sans but. Et il a su ensuite la séduire par son originalité, sa créativité, sa curiosité, sa fantaisie (avec lui, elle avait l’impression de découvrir plein de choses) alors qu’elle avait bien d’autres prétendants, bien plus beaux et séduisants que lui, mais avec qui elle finissait par s’ennuyer… sauf que… dans la vie de tous les jours, ce fût après une autre paire de manche. Pas sûre en effet qu’il était fait pour être marié et encore moins père : absent (mentalement quand ce n’était pas physiquement), oubliant certains détails (je passe les oublis d’anniversaires ni le fait qu’il ignorait toujours dans quelle classe mon frère et moi nous étions), décalé par rapport aux règles (ayant été moi-même arrêtée pour vandalisme à l’âge de 11 ans, avec deux autres copines, c’est le seul père qui est arrivé très en retard au commissariat, au milieu de la nuit (le téléphone ayant été mal raccroché…), le sourire aux lèvres, ne m’engueulant aucunement, m’invitant au contraire à dîner dans un resto de nuit, parce que je devais mourir de faim après toutes ces longues heures d’attente… les flics l’ont regardé, abasourdis !), anticonformiste sans le chercher, capable de tout lâcher sur une idée subite. Je passe les détails sur ses expériences professionnelles : il a été créatif dans la pub, jusqu’à créer sa propre agence, qui a périclité à cause non pas de ses idées, qui étaient originales, mais à cause de trop grands risques financiers… car, effectivement, c’était un très mauvais gestionnaire – plus rigolos : chercheur de trésor (avec un bateau), journaliste (mais celui, pragmatique, qui parle de ce qu’il vit concrètement : je me souviens par exemple avoir lu un de ses articles sur les fumeries d’opium à Paris qu’il avait bien sûr expérimentées…), auteur de polars (sous pseudo), caricaturiste (sous pseudo), inventeur (de gadgets tous plus farfelus les uns que les autres, il faut dire qu’il adorait James Bond : ma mère en a testé, puis jeté des objets improbables… rien qu’en vacances l’été, sur la plage, ses fauteuils gonflables fluorescents très design envahissaient la cabine de plage, et ne passaient pas inaperçus, etc. Avec, effectivement, une difficulté à mener les projets à terme car très vite, un nouveau projet le sollicitait.
Très polyvalent et doué en plein de choses (y compris en activités artistiques : il écrivait, dessinait, peignait… tout cela avec un bon niveau), mais trop dilettante, et incapable de mener à terme un projet. Autodidacte (il était étudiant en médecine quand il a été arrêté en 1940 par la gestapo, mais n’a jamais repris ses études après la guerre), et très cultivé, mais de cette culture typiquement autodidacte lié à une forte curiosité et à un besoin insatiable de découvrir des nouveaux « chemins de traverses ». Inutile de préciser qu’il a été très rarement salarié – une fois, pendant 8 ans, pour le leader des pneus en France, mais en situation d’expatriation en Afrique, au Mali : et comme le bonhomme articulé sur sa voiture l’avait placé malgré lui dans le rôle d’un sorcier blanc, je crois qu’il a vécu là-bas des expériences fort amusantes. Il avait aussi beaucoup de mal à respecter la hiérarchie, non pas d’ailleurs par refus recherché des règles, mais bien parce qu’il était lui-même très décalé. Les règles, il n’avait à mon avis même pas conscience qu’elles existaient.
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