Selon le psychiatre Didier Bourgeois, la prise en charge des Mineurs de Retour de Zone d’Opération de Groupements Terroristes (MRZOGT) est à construire dans une perspective systémique, pour faire évoluer favorablement l’ensemble du système familial de ces enfants, inclus dans un système social qui le borde, le façonne et peut aussi constituer un contre-modèle. Analyse et perspectives. Article à télécharger gratuitement.
Problématique
La destruction du califat islamique en Irak et au levant (EIIL) qui fut instauré sur un vaste territoire a cheval sur l’Irak et la Syrie entre 2014 et 2019, a acté une défaite militaire de l’intégrisme islamiste armé. Une victoire sans la paix, puisque l’antagonisme idéologique perdure et embrase encore le monde. Conséquence de cette défaite, de nombreux combattants et leurs familles se retrouvent enfermés depuis plusieurs années dans des camps disséminés en territoire Kurde, en Irak et en Syrie. Ce sont des camps de prisonniers et des camps d’hébergement surveillé, des camps de concentration au sens littéral du terme puisque y sont concentrés ces types de détenus, des personnes considérées comme civiles mais dangereuses, notamment des femmes et des enfants. Ces camps sont des lieux d’enfermement décrits comme terribles ou règnent des conditions de vie particulièrement délétères : privations, violences, enfermement.
Le droit international (Comité des droits de l’enfant, Cour européenne des droits de l’Homme, Comité contre la torture de l’ONU) a incité les états à rapatrier leurs ressortissants, et un certain nombre d’entre eux arrivent en France au compte-goutte depuis 2017. Ils sont accueillis discrètement dans un contexte d’opinion publique défavorable à ces retours. Ils arrivent par petits groupes, et sont le plus souvent rapidement dispersés sur le territoire à leur arrivée, le but étant de ne pas reproduire un « camp de concentration » et de repartir l’effort de prise en charge. La circulaire du 24 mars 2017 (n° 5995/SG) a permis de poser les bases du dispositif d’accueil des enfants issus de parents djihadistes, communément nommés «mineurs de retour de zone d’opérations de groupements terroristes ».
Les femmes et les mères, considérées comme partisanes actives et souvent revendiquées d’une idéologique islamiste extrémiste étant immédiatement incarcérées en attente de procédure, les enfants sont alors confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Il y a donc éclatement des familles et même des fratries au gré des disponibilités d’accueil. Les pères ont parfois disparu, ils sont morts au combat ou sont toujours incarcérés en Syrie. Cela concerne environ plusieurs centaines d’enfants depuis 2017. Il y aurait au total environ 500 personnes concernées en France, 1500 dans toute l’Europe occidentale mais ce chiffre infime est devenu un noyau emblématique, un enjeu sociétal majeur. Si la société occidentale réussit à les (re)insérer, sans faux-semblant, elle aura démontré sa capacité de résilience et cela sera garant d’une paix sociale ultérieure. Si elle échoue, chacune des personnes non réinsérées sera une épine potentielle dans le pied du corps social.
Notre réflexion est celle-ci : la problématique de la réinsertion socio-psychique de ces sujets est complexe, et polyfactorielle et si la prise en charge est morcelée, éclatée au coup par coup et sans coordination, sans projet véritable et viable de réhabilitation sociale au long cours, il y a un risque d’épuisement et de démotivation des équipes psycho-éducatives, et d’enlisement du processus d’inclusion et de réhabilitation. La prise en charge psychothérapique (psychiatrique) relève des UCSA (milieu pénitentiaire) pour les mères incarcérées, de la pédopsychiatrie pour les enfants, des Centres Médico-psychologiques éventuellement pour les grands-parents s’ils font appel à l’aide et du dispositif psycho-éducatif disponible. La coordination de ces dispositifs est structurellement compliquée à mettre en œuvre. Pourtant c’est un seul système, le système familial qui se trouve en faillite fonctionnelle. Cette faillite par éclatement peut, à terme, avoir un coût humain (des existences gâchées), social, politique et sociétal important mais elle n’est pas irréversible. Toutes ces personnes n’étaient pas des patients psychiatriques au sens traditionnel, ils sont maintenant potentiellement déstabilisés sur le plan psychique, même s’ils s’en défendent souvent, ne serait-ce que par les psychotraumatismes cumulatifs subis. Mais les outils de la psychiatrie peuvent utilement être convoqués à leur chevet.