Claude Evin, ancien ministre de la Santé et Patrick Stéphanini, conseiller d’Etat honoraire ont rendu leur rapport de mission portant sur l’Aide Médicale d’Etat (AME). Un dispositif sanitaire utile, maîtrisé pour l’essentiel mais exposé à l’augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires…
Pour rappel l’aide médicale de l’État (AME) est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Elle est attribuée sous conditions de résidence et de ressources. Pour la demander, un dossier est à remplir. Une fois attribuée, l’aide médicale de l’État est accordée pour 1 an. Le renouvellement doit être demandé chaque année.
Cette mission devait objectiver autant que possible la situation, en particulier en mesurant l’effet des resserrements successivement introduits pour maîtriser la dynamique de l’AME et les efforts mis en oeuvre dans la lutte contre la fraude. Il était également attendu de proposer d’éventuelles pistes d’évolution pouvant porter tant sur le contenu du « panier » de soins couvert par l’AME que sur les délais de carence mis en oeuvre pour la prise en charge des pathologies non urgentes.
Le terme « bénéficiaires » de l’AME recouvre deux populations : les « assurés » et les ayants-droits. Les « assurés » sont les personnes qui portent directement les droits, les ayants-droits sont leurs enfants (mineurs et potentiellement jusqu’à l’âge de 20 ans), leurs conjoints, partenaires de PACS ou concubins, ainsi qu’une personne majeure « cohabitante » à charge. Les statistiques identifient les bénéficiaires, les « assurés » et les ayants-droits dont les mineurs.

Le nombre de bénéficiaires de l’AME a cru de près de 123.000 personnes entre la fin 2015 et la mi-2023, soit une progression de 39 % sur 7 ans et demi. Cependant cette forte croissance est le résultat d’une progression plus marquée à partir de 2019 et qui s’accélère encore en 2023 (cf. tableau 1).
Un dispositif sanitaire utile, maîtrisé pour l’essentiel mais exposé à l’augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires
Les rapporteurs de la mission s’en sont donc tenus aux termes de la lettre de mission, dans la perspective non de supprimer l’AME mais d’y apporter les adaptations nécessaires. Il en résulte des hypothèses d’évolutions permettant de poursuivre la sécurisation du dispositif, de renforcer la confiance dans le fonctionnement de l’aide médicale de l’État, dont l’utilité sanitaire est confirmée, et d’améliorer l’efficience des soins délivrés aux bénéficiaires de l’AME. Les propositions formulées par les rapporteurs pourront faire l’objet d’une évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique.
La première partie du rapport objective sous plusieurs angles les conditions dans lesquelles l’AME est mise en oeuvre (l’évolution du nombre de bénéficiaires et de la consommation de soins, les contrôles mis en oeuvre, les droits ouverts) et procède à une analyse de l’impact qu’entraînerait la substitution de l’AMU à l’AME, votée par le Sénat le 14 novembre dernier. Elle présente une comparaison actualisée des dispositions en vigueur dans huit autres pays d’Europe occidentale tout en soulignant la difficulté à l’interpréter. Il se dégage le constat d’un dispositif sanitaire utile, maîtrisé pour l’essentiel mais exposé à l’augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires, en conséquence du nombre de personnes en situation irrégulière présentes sur le territoire, et qui mérite d’être adapté.
Il résulte des constats faits un certain nombre de propositions et des pistes de propositions, présentées dans la seconde partie, relatives aux modalités de contrôle qui pourraient être complétées, à l’évolution de certaines dispositions permettant de réduire les ruptures de droits et d’améliorer l’inclusion dans les parcours de soins, aux critères d’éligibilité qui pourraient être renforcés et enfin à l’amélioration du contrôle des prises en charge en particulier pour les soins chroniques les plus lourds.
Récapitulatif des propositions de la mission
- Émancipation des majeurs ayants-droits pour le bénéfice de l’AME
- Resserrement de la vérification des conditions d’accès : identité (présence physique du bénéficiaire à chaque dépôt de dossier et retrait de cartes, amélioration de la formation des agents des CPAM à la détection de faux papiers), ressources du conjoint, mineurs non accompagnés
- Donner accès aux agents de l’assurance maladie à AGDREF sur l’identité et au téléservice VIS (consultation des visas court séjour et espace Schengen)
- Compléter les plans de contrôles de l’assurance maladie (analyse de la population des bénéficiaires de l’AME, des plus gros consommant)
- Aligner le régime applicable aux demandeurs d’asile sur l’AME pour réduire les ruptures de droits et de prises en charge
- Organiser à l’arrivée en France un bilan de santé pour les demandeurs d’asile et les primo-bénéficiaires de l’AME
- Informatiser la carte de bénéficiaire de l’AME
- Inclure les bénéficiaires de l’AME dans des dispositifs de l’assurance maladie promouvant la prévention et facilitant l’organisation des parcours de soins coordonnés
- Exclure du bénéfice de l’AME les personnes frappées d’une mesure d’éloignement du territoire pour motif d’ordre public
- Etendre le recours à l’accord préalable (application au-delà de 9 mois, extension à d’autres actes ou affections)
- Ouvrir une réflexion pour réduire les risques d’initialisation de soins chroniques et lourds avant l’admission à l’AME
Autres pistes de propositions ne faisant pas consensus - Subordonner le renouvellement du bénéfice de l’AME à la présentation par l’étranger d’un refus de séjour
- Subordonner la poursuite de soins chroniques et lourds à la vérification que l’étranger en situation irrégulière ne peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine
Pour mémoire, aucune proposition relative à l’AME ne peut être intégrée au projet de loi immigration en cours d’examen, ces dispositions étant sans rapport avec l’objet du texte (cavalier législatif).
Rapport dur l’Aide Médicale d’Etat, décembre 2023, Rapport AME
L'AME : questions de recherche, questions d'actualité Les podcasts de l'Irdes, lancés en décembre 2023, donnent la parole aux chercheuses et chercheurs de l'Irdes sur une question de recherche, en écho à l'actualité de la santé et de la protection sociale. Ils mettent à la disposition d'un large public, sous format audio, les résultats les plus récents des études, recherches ou enquêtes menées par l'Institut. Le premier épisode, « L'AME : questions de recherche, questions d'actualité », est consacré à l'Aide médicale de l'Etat (AME). Paul Dourgnon, directeur de recherche à l'Irdes, est interrogé à l'occasion de la parution en décembre 2023 du Questions d'économie de la santé n° 284, « Des assurés comme les autres. Une analyse des consommations de soins de ville des personnes couvertes par l'Aide médicale de l'Etat », réalisé avec Solène Petit, Jérôme Wittwer, Florence Jusot et Antoine Marsaudon. Cette étude, qui fait suite à de précédents travaux menés dans le cadre du projet de recherche Premiers pas, montre que les consommations de soins de ville des personnes couvertes par l'AME sont similaires à celles des personnes couvertes par la Complémentaire santé solidaire non contributive (CSS-NC), pour les postes de soins bénéficiant d'un niveau de couverture identique. Des résultats qui viennent apporter un éclairage aux débats actuels dans le cadre du vote du projet de loi sur l'immigration, en novembre et décembre 2023. A écouter