Mère-fille : chacune sa place…

N° 282 - Novembre 2023
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A 17 ans, Brenda a été conduite aux Urgences par ses parents, après un épisode de scarifications… Une confusion des places au sein de la famille apparaît rapidement.

Brenda, 17 ans, nous est adressée par les Urgences après un épisode où elle s’est scarifiée et a exprimé des idées suicidaires. Je reçois une jeune fille très apprêtée et maquillée, accompagnée par une jeune maman épuisée…

« Le problème, c’est mon copain »
Je rencontre d’abord Brenda. Elle parle très vite et je dois souvent l’interrompre pour comprendre et relier tous les éléments disparates qu’elle me donne. Que s’est-il passé, selon elle ? Il y a quelque temps, elle a pris du protoxyde d’azote « juste pour essayer » avec des amis. Découvrant les petites bonbonnes cachées sous son lit, ses parents « sont partis en vrille »… Son père a hurlé, a menacé de l’envoyer en pension… Brenda s’est sentie coupable et a pris un rasoir pour se blesser. C’est cette « crise » a provoqué sa venue aux Urgences.
Plus globalement, Brenda me confie qu’elle ne va pas bien depuis quelques mois, Au lycée, elle a été orientée en Première professionnelle, dans une filière qu’elle n’a pas choisie, après une Seconde générale catastrophique. Elle collectionnait les mauvaises notes, ses profs lui disaient qu’elle était « nulle » et n’avait « aucun avenir », ses parents ne l’aidaient pas mais l’empêchaient de sortir…
Quand je lui demande comment elle se sent dans sa famille, Brenda grimace. Elle a une sœur de 20 ans, Cynthia, avec qui elle ne s’entend pas. « Elle, elle est parfaite, elle fait tout bien, elle a de bonnes notes… elle sort avec un étudiant en école de commerce, bref tout le contraire de moi avec mes notes pourries et mes potes de la cité. Elle passe son temps à me faire la morale et à me dire que mon mec est nul, que je devrais le quitter. Elle surveille mon temps de téléphone et prévient mes parents quand je le garde avec moi la nuit. » Brenda s’arrête et semble hésiter. « Vous n’allez pas le dire à ma mère ? »…
En souriant, je lui rappelle que notre entretien est confidentiel. « Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est mon petit ami. Le problème, c’est qu’il est noir et que mes parents disent qu’il trafique de la drogue. On a couché ensemble et j’ai dû prendre deux fois la pilule du lendemain car je n’ai pas d’autre contraception. J’aimerais prendre la pilule mais ma mère ne voudra jamais. Mon père a menacé de tuer mon copain s’il me voyait encore avec lui. Je fais semblant de ne plus le voir mais en fait je le retrouve en cachette… » Je donne à Brenda les coordonnées du planning familial pour qu’elle puisse se procurer gratuitement la pilule et lui propose de poursuivre l’entretien avec sa mère. A ce stade, j’ai écarté le risque suicidaire.

« Je suis une copine pour elle… »
D’emblée, la mère de Brenda se dit très inquiète pour sa fille, qui a, selon elle, besoin de voir une psychologue très vite car « elle est jeune, elle fait des choses graves sans en avoir conscience ». Elle se laisse entraîner, le gaz hilarant, les mauvaises notes, les scarifications… tout ça, c’est à cause du petit ami. Brenda l’interrompt : « Tu mens, tu sais très bien qu’il n’a rien à voir là-dedans… »
Mais la mère poursuit : « Je ne comprends pas, c’était si facile avec Cynthia ! Avec Brenda tout va de travers, pourtant je suis une maman sympa, une copine pour elle, elle peut tout me dire. Sa grande sœur essaye de l’aider, de lui donner des conseils, mais ça ne marche pas, elle ne l’écoute pas. (…) Elle est bien trop jeune pour coucher avec ce type… De toute façon, son père lui a dit qu’il voulait le rencontrer d’homme à homme pour voir s’il était sérieux, il ne veut un mec bien pour sa fille. »
Sans la brusquer, je reprends son discours point par point. J’explique mon étonnement face à cette grande sœur qui se comporte en parent et face à son discours de maman-copine. Je lui demande si elle se rend compte qu’en interdisant à Brenda de voir ce garçon, elle ne fait sans doute que renforcer la détermination de sa fille alors que ce n’est peut-être qu’un amoureux de passage. Brenda acquiesce : « C’est sûr, je ne ferai pas ma vie avec lui… je suis bien trop jeune ». Mais la mère explose : « Pas trop jeune pour te faire baiser dans les couloirs, en tout cas, tu crois qu’on ne te voit pas ? Tu crois qu’ils disent quoi, les voisins ? »
J’arrête la mère et lui demande de respecter l’intimité et le choix de sa fille.
Brenda et sa mère repartent avec les coordonnées de la Maison des adolescents, qui propose une prise en charge éducative, psychologique et familiale du mal-être des adolescents et de leur famille. Brenda ne me semble pas déprimée et sa problématique concerne bien moins un trouble psychique personnel qu’un dysfonctionnement familial… Dans ce type de situations, permettre à chacun d’évoluer, de se sentir à sa place, relève de la guidance parentale, même si je resterai en soutien infirmier.