Cette thèse de psychologie contribue à améliorer l’état des connaissances sur l’intervention par texto en prévention du suicide. Elle constitue également un plaidoyer en faveur de la reconnaissance du rôle des lignes jeunesses dans la prévention du suicide des jeunes, à leur plus grande intégration au milieu de la prévention du suicide, et à leur accès aux ressources nécessaires à la réalisation de leur mission auprès des jeunes présentant un risque suicidaire.
L’auteur tente ici de décrire le profil des utilisateurs à risque suicidaire de services d’intervention par texto, les pratiques de repérage et d’évaluation du risque suicidaire des intervenants de ces services, d’estimer l’impact de ces services pour leurs utilisateurs, d’évaluer la transférabilité des pratiques d’intervention actuellement utilisées dans les centres de prévention du suicide à l’intervention par texto, et d’identifier des pratiques prometteuses d’intervention par texto en prévention du suicide.
Résumé
Contexte. Au cours des 20 dernières années, plusieurs lignes d’intervention téléphonique en prévention du suicide se sont dotées de services d’intervention par texto. Or, ces services ont été lancés en l’absence d’une littérature scientifique sur les bonnes pratiques d’intervention par texto. C’est dans ce contexte que le Centre de Recherche, Enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE) a lancé un projet de recherche dont l’objectif était de produire des connaissances pouvant guider le développement de guides de bonnes pratiques d’intervention par texto en prévention du suicide. Pour répondre à cet objectif général, deux projets de recherche complémentaires ont été menés avec le Service Canadien de Prévention du Suicide (SCPS), qui intervient auprès de la population générale anglophone au Canada, et avec la ligne jeunesse Tel-jeune, qui intervient auprès d’adolescents francophones au Québec.
Objectifs. Étude 1 : Les objectifs de l’évaluation effectuée au SCPS étaient de décrire le profil des appelants à leur service d’intervention par texto, de décrire les impacts du service, de décrire les pratiques d’intervention et d’évaluation du risque suicidaire des intervenants, et d’identifier les techniques d’intervention qui sont associées à des impacts positifs et négatifs. Étude 2 : Les objectifs Méthode. Étude 1 : La méthode utilisée dans l’évaluation du service d’intervention par texto du SCPS a consisté en une analyse de contenu quantitative de verbatims d’intervention (Krippendorff, 2018), une analyse documentaire des rapports d’interventions complétés par les intervenants, et une analyse des réponses à un court questionnaire préintervention portant sur l’âge, le genre, le degré de détresse et la raison du contact des appelants. Étude 2 : La méthode utilisée dans l’évaluation du service d’intervention par texto de Tel-Jeunes consistait en une analyse de contenu quantitative de verbatims d’intervention (Krippendorff, 2018), une analyse des réponses à un court questionnaire post-intervention portant sur l’âge, le genre, l’impact des interventions, le risque suicidaire des appelants, et une analyse de contenu qualitative des commentaires des jeunes sur leur appréciation des interventions (Elo & Kyngas, 2007).
Résultats. Étude 1 : Au total, 112 verbatims d’intervention, rapports d’intervention et questionnaires préintervention ont été analysés. Les résultats indiquent que 68.8% des utilisateurs étaient des femmes et que l’âge moyen était de 25 ans. Les motifs du contact les plus fréquents étaient les problèmes de santé mentale, les difficultés relationnelles, les difficultés au travail ou à l’école, et le sentiment d’être isolé. Les intervenants du SCPS demandaient généralement aux utilisateurs s’ils pensent au suicide, mais les éléments de la planification suicidaire (comment, où et quand) étaient rarement explorés. Les intervenants exploraient généralement de manière exhaustive les ressources des appelants et les possibles solutions à leurs problèmes. Seule la fréquence d’emploi de la technique d’intervention Souligner une force ou un bon coup était un prédicteur significatif des effets positifs des interventions. La quantité de mots échangés était corrélée à l’efficacité des interventions. Étude 2 : Au total, 2 276 jeunes ont répondu au questionnaire post-intervention. 46,5% des répondants au sondage post-intervention avaient sérieusement envisagé de se suicider au cours des 12 derniers mois, 33,7% avaient déjà fait une tentative de suicide par le passé, et 35% avaient des idées suicidaires au moment du contact. Seulement 33,8% des jeunes qui avaient des idées suicidaires au moment du contact ont bénéficié d’une évaluation du risque suicidaire. Seule la fréquence d’emploi de la technique d’intervention Souligner une force ou un « bon coup » * était un prédicteur significatif des effets positifs des interventions. La fréquence d’emploi de la technique Mettre des limites était la seule technique qui était un prédicteur significatif des effets négatifs des interventions. Plusieurs jeunes déploraient le peu de temps qui leur était accordé.
Conclusions.
Dans le cadre de cette thèse, l’auteur a mobilisé différentes méthodes d’observation directe et indirecte afin de décrire
Il a établi que les services d’intervention par texto étaient majoritairement utilisés par des adolescentes et des jeunes femmes, qu’une importante proportion des jeunes qui utilisent les services d’intervention par texto de la ligne jeunesse Tel-jeunes présentent un risque suicidaire, que les services d’interventions par texto présentent d’importantes lacunes quant au repérage et à l’évaluation du risque suicidaire des utilisateurs présentant un risque suicidaire, qu’il est possible d’explorer de manière exhaustive les ressources et solutions des utilisateurs dans les interventions par texto, que la durée des interventions est un facteur important dans la qualité des interventions, que l’accueil et l’établissement
d’un lien de confiance en début de contact est un élément essentiel au déploiement d’une intervention de qualité, que souligner les forces et les « bons coups » des utilisateurs représentent une pratique prometteuse pour l’intervention par texto, que les services d’intervention par texto ne répondent pas toujours aux besoins et attentes des utilisateurs, que l’intervention par texto présente une efficacité similaire à l’intervention téléphonique, que les jeunes qui présentent un risque suicidaire bénéficient moins que les jeunes non suicidaires des interventions par texto, et que plusieurs indices suggèrent l’existence d’un sous-groupe d’utilisateurs plus difficiles ou d’un phénomène d’appelants fréquents dans
les services d’intervention par texto.
L’établissement d’un lien de confiance en début de contact semble être un élément central au succès des interventions par texto. Souligner une force ou « un bon coup »* était la seule technique d’intervention associée à de meilleurs résultats, et ce à la fois dans une population adulte et adolescente. Les deux études ont identifié d’importantes lacunes dans les pratiques d’évaluation du risque suicidaire par texto.
Cette thèse contribue donc d’une manière significative à l’avancement des connaissances sur l’intervention par texto en prévention du suicide. Elle constitue également un plaidoyer en faveur de la reconnaissance du rôle des lignes jeunesses dans la prévention du suicide des jeunes, à leur plus grande intégration au milieu de la prévention du suicide, et à leur accès aux ressources nécessaires à la réalisation de leur mission auprès des jeunes présentant un risque suicidaire.
Côté, Louis-Philippe (2023). « Étude des meilleures pratiques d’intervention par texto en prévention du suicide » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.
* Un bon coup, c’est un geste, une initiative ou l’attitude d’un employé ou d’une équipe de travail qui améliore les soins, les services