« Je ne refuserai plus aucune poignée de main… »

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« Ecrire, c’est avant tout tisser des liens et oser une autre lecture du monde ». Travailleuse sociale et usagère de la psychiatrie, Véronique Friess poétesse, blogueuse, évoque la difficulté à accepter de l’aide, au travers d’un très joli texte qui révèle avec justesse et délicatesse ses propres résistances et les luttes qui l’accompagnent.

« J’aime. Aujourd’hui j’ai été dans un lieu particulier. Un endroit qui ne m’a pas laissée indifférente, tout en me remuant au point d’en être décousue comme un bouton qui pendouille inlassablement le long d’un veston. Un endroit où viennent les gens qui n’ont pas de place dans notre monde, où les bonnets ne sont en général pas enfoncés jusqu’aux yeux. Un endroit où les barbes mal rasées ne sont pas un effet de style mais celui de l’ennui, où les sourires sont parfois chagrins et les poignées de main un peu fébriles. Un endroit où le café est la tasse qui permet de parler de soi. Un endroit qui rassure mille vies qui se suivent. Un endroit qui pense à panser sans décompenser tout en privilégiant le lien et la parole. La parole de ceux que beaucoup croient sans pensées. Un endroit qui place la spécificité de l’autre dans un respect et une dignité que peu lui concèdent parce que la différence se lit sur un visage ou une démarche qui se reconnaît de loin. Les effacés qui cristallisent nos peurs ont là-bas une place bien à eux. Chacun se retrouve responsable de l’autre. Chacun s’ouvre d’un coup à lui-même puis à cet autre qui n’est plus l’inconnu. Tous reconnaissent dans ce lieu ce formidable sentiment d’existence comme tout un chacun, mais aussi comme cela se devrait avec le reste du monde. Un monde qui préfère détourner les yeux et oublier que la maladie ne prévient pas quand elle happe nos esprits et tourmente nos chairs. Un monde qui n’a d’humain que le nom du peuple qui l’occupe et tend à déshumaniser les liens qui le composent, oubliant la bienveillance envers les plus vulnérables. 

J’étais là, assise sur ma chaise à regarder ces femmes et ces hommes grouillants de prestige, celui d’une main serrée, d’une autre tendue, d’une poignée de certitudes, dont celle d’être ici chez eux. C’était beau en plus d’être émouvant et joyeux. C’était beau et pourtant, j’ai quitté ce lieu avec une distance faite d’inconforts. J’ai accepté la tasse mais j’ai refusé les mains qui invitaient la mienne. Je n’étais pas prête. Je n’étais pas prête à être dans cette même chaleur humaine. J’ai manqué d’humilité. J’ai manqué de bien des choses de par mon passé d’accompagnante de la maladie psychique. Je comprends mieux mon ressenti et ma retenue. Il y a tout un monde entre le fait d’épouser une cause et d’en être imprégné. Il y a tout un monde qui se meut quand le mur se lézarde et que s’infiltre le rejet et des batailles vaines, dans un dernier soubresaut de protection. Ce n’est pas la première fois que je vis cet antagonisme. Les miroirs prennent du temps à apaiser les reflets, nos résistances n’y sont pas pour rien. Ce soir, j’ai envie de pleurer. Les luttes avec moi-même sont éreintantes, les luttes mais aussi ma place sans cesse en mouvance. Je m’incline face aux larmes d’une conscience qui invite à l’ouverture. Je ne refuserai plus aucune poignée de main. »

Véronique Friess, lire ses chroniques sur son blog avec son nom d’artiste Cello Muse

Biographie de l'auteur
C’est depuis l'Alsace que Véronique Friess écrit sa poésie en marge de recueils collectifs et de revues. On peut la lire sur internet sous le nom d’artiste Cello Muse et le hastag #lesmotsdecello. Elle tient un blog littéraire et se lance à présent dans l’animation d’ateliers d’écriture autour du projet "plaisir d’écrire et de dire" au sein du GEM Azimut de Haguenau. C’est son expérience passée en tant que travailleuse sociale couplée à celle d’usagère de la psychiatrie qui l’ont conduite à s’investir sur les questions d’accompagnement au quotidien des personnes concernées par le trouble psychique, au travers de l’association FASCIAS mais aussi sur celles des droits, de représentativité et d’accès à la culture. Ecrire, c’est avant tout tisser des liens et oser une autre lecture du monde. Elle aime les mises à nu, écrivant ses hébétudes, parfois ses révoltes ou s'aventurant sur un terrain plus léger en sondant les diversités de l’intime. Elle se vit indéniablement libre dans ses désirs d’écriture et explore l’expression photographique autour d’autoportraits où le corps gros interroge les normes induites par notre société faisant le choix d’une nudité franche et sans fard. C’est une voix féministe engagée, future éditrice d’une revue littéraire, qui s’amourache de poésie pour supporter l’âpreté de ce monde.