Deux ans après le lancement de son appel à témoignages, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) publie un dossier d’analyse des témoignages des victimes intitulé : « Vous n’êtes plus seul.e.s, on vous croit ». Une façon explicite d’affirmer que l’histoire de l’inceste et des violences sexuelles faites aux enfants, c’est l’histoire d’une société qui veut faire comme si ça n’existait pas. A ce silence, la CIIVISE oppose un soutien et une écoute inconditionnels.
Le 21 septembre 2021, la CIIVISE ouvrait son appel à témoignages. Le 21 septembre 2023, il n’y a aucune certitude sur la poursuite de cette mission. Et pourtant ? Qui comprend vraiment à quel point, pour les victimes de violences sexuelles dans leur enfance, être écoutées, crues, respectées répond à un besoin vital ? Ce bilan de deux années de recueil de la parole des victimes d’inceste et de toutes les violences sexuelles subies dans l’enfance intervient dans un moment où la société dans son ensemble et les pouvoirs publics sont saisis par la publication de témoignages qu’il est impossible de passer sous silence.

La CIIVISE répond à un besoin vital parce qu’elle est un espace de sécurité, de solidarité et de reconnaissance et parce qu’elle ne dissocie jamais le témoignage personnel et les propositions de politique publique pour protéger les enfants. C’est pourquoi la CIIVISE doit continuer sa mission. En effet seules 8% des victimes ont bénéficié d’un soutien social positif. Et lorsque les enfants se confient à un professionnel dans 60% des cas il ne fait rien pour protéger l’enfant.
Dans près de 50% des témoignages, le confident ne sécurise pas l’enfant : il lui demande de ne pas en parler (27%) et même rejette la faute sur lui (22%). Consciente ou non, cette réaction ne fait que renforcer la stratégie de l’agresseur.
L’enjeu de la politique publique du soutien social est le suivant :
– si le soutien social est positif (je te crois, je te protège), cela a un impact sur les conséquences à long terme : 62% des victimes ne rapportent pas d’impact des violences sur leur santé physique ;
– si le soutien social est négatif (je te crois mais je ne te protège pas), l’impact est grave sur les conséquences des violences. Ainsi, près de 4 victimes sur 10 ont des problèmes d’addiction (38%) ;
– si le soutien social est absent (tu mens), cela a un impact sur le rapport à la loi avec des passages à l’acte de délinquance (15%).
« Plus de 9 personnes sur 10 avaient déjà révélé les faits avant de nous confier leur témoignage. Ce n’est pas une surprise : dans près d’un cas sur deux, les faits ont eu lieu il y a 20 ans ou plus ; et c’est à 44 ans en moyenne que les femmes et les hommes ayant été victimes dans leur enfance s’adressent à la CIIVISE ».
A retenir - Les témoignages confiés à la CIIVISE montrent en effet qu’à peine plus d’une victime sur 10 a révélé les violences au moment des faits (13%) ; elles sont en revanche près de 6 sur 10 à avoir révélé les violences plus de 10 ans après, à l’âge adulte (58,5%). - Plus l’enfant est proche de l’agresseur, plus il révèle les violences tardivement. - Les victimes de violences sexuelles incestueuses révèlent les violences plus tardivement que les autres victimes : moins d’une sur 10 révèle les violences au moment des faits (9% ; 12% des victimes au sein de l’entourage ; 40% au sein de l’espace public) ; plus de 6 sur 10 révèlent les violences plus de 10 ans après (62% ; 56% des victimes au sein de l’entourage ; 29% au sein de l’espace public). - Près d’un enfant sur 4 s’est confié à sa fratrie au sujet des violences (23%), et/ou à leur père dans un cas sur 5 (19%), notamment lorsqu’il s’agit d’une révélation aux deux parents conjointement. - La première confidente de l’enfant est ainsi la mère dans plus de 6 cas sur 10 (66%) ; c’est encore davantage le cas lorsque les violences ont lieu au sein de la sphère familiale (71%). - Plus de 6 victimes sur 10 qui ont été protégées ne rapportent pas d’impact des violences sur leur santé physique (62%) ; c’est le cas de 4 victimes sur 10 seulement lorsque le confident ne les a pas crues (42%). - Plus d’une victime sur 2 développe des troubles alimentaires (56%) – ce n’est le cas que de 4 victimes sur 10 qui ont été protégées (41%). - 13% développent des conduites prostitutionnelles – ce n’est le cas que de 7% des victimes qui ont été protégées. - Près de 4 victimes sur 10 rapportent avoir développé des problèmes gynécologiques (39%) – ce n’est le cas que de 2 victimes sur 10 qui ont été protégées (20%). - Lorsque le confident croit l’enfant mais inverse la culpabilité et rejette la faute sur lui, plus de ¾ des victimes rapportent un impact négatif sur leur vie sociale (77%). Ce n’est le cas que de moins d’une victime sur 2 qui a été protégée (46%). - 15% des victimes qui n’ont pas été crues rapportent des actes de délinquance – c’est le cas de 8% des victimes qui ont été protégées : c’est deux fois plus. - Près d’un enfant sur deux (45%) qui révèle les violences au moment des faits n’est pas mis en sécurité et ne bénéficie pas de soins ; autrement dit, personne ne fait cesser les violences et n’oriente l’enfant vers un professionnel de santé. Parmi eux, 70% ont pourtant été crus lorsqu’ils ont révélé les violences. - Lorsqu’elles se sont adressées à un professionnel à l’âge adulte, dans 4 cas sur 10 (40,5%), celui-ci n’a rien fait ; moins d’1 sur 5 les a crues (17,6%) ; moins d’1 sur 10 les a accompagnées vers un dépôt de plainte (8%).
• « Vous n’êtes plus seul.e.s, on vous croit » – 21 septembre 2021 – 21 septembre 2023 : deux années d’appel à témoignages de la CIIVISE (PDF).
• A lire aussi : « Violences sexuelles aux enfants : le « coût du déni » s’élève à 9,7 milliards d’euros par an », 13 juin 2023, Santé mentale