25/09/2023

L’aménagement des lieux de soin au cœur de l’accueil

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« Quand mon cœur et mon cerveau chauffent, j’ai besoin d’un coin cocooning… » Au CH Sainte-Marie de Rodez, le réaménagement d’une unité de crise a été l’occasion de penser l’agencement et le mobilier comme des objets médiateurs susceptibles de favoriser l’alliance thérapeutique. L’architecture des lieux, son design, traduisent ainsi une véritable éthique de l’accueil, de l’accompagnement, dans un souci de respect et de participation de l’usager, d’ergonomie et de confort des professionnels, d’accueil et de considération des familles.

Un article de Jean-Yves COURNUT,
Cadre de santé d’unité, Espace psychiatrique intersectoriel crise et apaisement (epicea),
Centre hospitalier Sainte-Marie, Rodez.

Le projet de réaménagement d’une unité de crise favorise une narration via les objets et les espaces qui structurent le quotidien et transforment l’expérience psychiatrique. Il y a en effet une dimension humanisante et protectrice à l’aménagement mobilier de ces espaces de vie, où le patient requiert, plus que tout autre, un accueil et un habitat sécurisant.

Nous avons repensé l’espace, l’aménagement et le mobilier comme des objets médiateurs (1), afin qu’ils participent au dispositif thérapeutique et suscitent la rencontre entre les soignants, les soignés et leur entourage, tous considérés comme usagers d’un même lieu de vie. Face à la brutalité de la crise, il s’agit d’opposer la puissance de l’esprit, et face à la destruction du moi, la créativité du sujet.

En revanche, il ne s’agit pas face au vide de saturer les espaces par un trop-plein, mais de trouver la bonne mesure du juste plein, qui sied à cette attente de bien-être psychique et physique. Il ne s’agit pas non plus de créer un environnement ostentatoire mais bien davantage de susciter une ambiance apaisante où chaque patient puisse y projeter ses angoisses et s’en protéger.

L’aménagement et l’ameublement peuvent en quelque sorte matérialiser l’idée de prise en soin et au-delà d’une simple esthétique, ils doivent traduire une véritable éthique de l’accueil, de l’accompagnement dans un souci de respect et de participation de l’usager, d’ergonomie et de confort des professionnels, d’accueil et de considération des familles.

L’accueil, l’ambiance et la rencontre reposent avant tout sur l’engagement, la compétence et la bienveillance de l’équipe soignante. Notre ambition est de conjuguer ce potentiel humain avec l’aménagement matériel, afin de soutenir, à travers la contenance soignante et « par la portance des lieux, la possibilité de la rencontre et une forme d’attention »(2).

Dé-stigmatisation de l’espace psychiatrique

Si pendant longtemps la représentation de la psychiatrie a été celle de l’asile et de l’enfermement, de l’internement et des barreaux, de la contention et de la camisole, aujourd’hui un changement de paradigme prescrit un renouvellement de pratique et de culture. L’espace psychiatrique est désormais perçu comme un lieu de passage, d’apaisement et de rétablissement. Etre dans un lieu, c’est habiter l’espace, s’ancrer dans la réalité et cela « implique un apprivoisement des entours matériels » (3).

La reconfiguration architecturale de l’unité a été pensée à partir de l’idée que la première impression conditionne le vécu émotionnel du patient. Nous proposons donc en premier lieu de renommer l’Unité intersectorielle fermée en Espace psychiatrique intersectoriel de crise et d’apaisement : Epicea. Proposition métaphorique et méliorative qui veut contribuer à dé-stigmatiser la vision péjorative d’une unité fermée, à valoriser l’action d’apaisement des soignants et à promouvoir les capacités de rétablissement de nos patients. D’autre part la figure de l’épicéa renvoie à l’arbre des valeurs (4) partagé dans l’institution, aux conditions matérielles et humaines de l’apaisement, à cette dimension et à ces valeurs de respect et de bienveillance, en s’attachant à créer les conditions d’accueil et de séjour dans un environnement de qualité. Symboliquement, la figure de l’épicéa incarne aussi la pulsion de vie, la primauté du devenir sur l’établi et le commencement d’un nouveau cycle.

Enveloppe psychique et fonction contenante

Le morcellement de l’enveloppe psychique provoquée par la maladie psychiatrique exacerbe le besoin de réassurance et de contenance bienveillante des patients pris en soins. Pour l’architecte Victor Castro, « les notions d’espaces, d’enveloppes et de contenants, qu’ils soient architecturaux, transitionnels ou de soins, sont importants et à la base de toute action thérapeutique » (5). L’ameublement dans une unité de psychiatrie renvoie par analogie aux notions de portage, de soutien et aux fonctions d’amortir et de border, qu’on retrouve comme fonctions génériques du SocleCare (6), et dans la fonction de réassurance du bord, notion empruntée à la psychanalyse (7). Les aménagements et les dispositifs mobiliers sont comme le prolongement du corps et la matérialisation de la psyché. Ils offrent, associés avec la présence soignante de multiples possibilités de protection et de contenance contre l’angoisse et le débordement.

Sécurisation de l’environnement

L’hôpital psychiatrique qui s’impose désormais comme un lieu d’accueil et d’ouverture doit rompre avec son passé coercitif et proposer à l’usager de trouver une place dans un espace qu’il n’a pas souhaité initialement investir, l’aider à s’y sentir le mieux possible mais sans pour autant négliger la notion de sécurité. L’enjeu est de faire de la contrainte de soins dans sa traduction spatiale d’un lieu clos et coercitif, un espace digne de confiance dans le sens de l’anglicisme sécure, sécurisé et participatif afin d’immerger le patient en crise dans un environnement de mieux-être et de mieux-vivre.

Le mobilier invite son hôte à prendre une pause, à la paresse ou à la contemplation. Il aide le corps déambulant à décélérer et par conséquent à l’esprit de ralentir. L’étymologie de mobilier renvoi à la mobilité, mobilité pour s’isoler, mobilier solide, dense et lesté pour opposer à l’expression d’une tension psychique, la force de la pesanteur physique. La densité, l’assise et la stabilité portent, bordent et enveloppent. Les caractéristiques du mobilier choisi visent également à réduire les risques de dissimulation d’objets illicites et dangereux ainsi que les risques de passage à l’acte suicidaire.

Intégration sensorielle

Pour transcender les codes de l’univers psychiatrique, il s’agissait aussi de démystifier la problématique notion d’enfermement et en même temps à valoriser les capacités sensorielles des patients. Cela consiste à les aider à se projeter au travers de l’architecture, des matériaux et des couleurs, dans un environnement redevenu paisible, vers un ailleurs perçu comme tangible et un devenir rendu à nouveau possible. Le véritable lieu, ou mieux, le véritable champ à investir est celui de la rencontre patient/soignant, dans un entre soi qui a besoin aussi de se matérialiser dans un espace habité. En particulier à travers l’aménagement des chambres,  nous avons veillé au respect de l’intimité, de la sérénité et au repos des patients. Elles sont pensées et conçues comme de véritables espaces personnels et individualisés. Elles sont équipées de badges pour permettre au patient de pouvoir ouvrir ou fermer la porte afin de garantir une sécurisation optimale de sa personne et de ses biens.

Graduation de la prise en soin

L’organisation spatiale doit faire en sorte d’accompagner cette graduation, d’une prise en charge « attentive » jusqu’à des soins « intensifs » avec la mise en isolement dans les cas d’extrême nécessité et de dernier recours, quand toutes les tentatives alternatives ont échouées et inversement d’accompagner le patients par la désescalade et l’apaisement à poursuivre son parcours de soin vers des lieux de prise en charge de plus en plus ouverts.

L’espace psychiatrique intersectoriel, crise et apaisement, est une unité avec une capacité d’accueil de seize patients. Quatorze chambres de soins attentifs (dont 2 chambres médicalisées et sécurisées pour la prise en charge de patients nécessitant tout à la fois une vigilance psychiatrique dans un contexte de prise en soins somatiques aigues), deux chambres de soins préventifs pour l’accueil et la prise en charge de la crise suicidaire et 3 chambres de soins intensifs (chambres d’isolement en sus des 16 chambres d’hospitalisation). L’utilisation et l’occupation de ces différentes chambres s’organisent dans un continuum de la prise en charge des patients en crise en fonction du degré, de l’évolution et de la résolution de celle-ci. Ces espaces intermédiaires et transitionnels favorisent et apportent des modalités de réponses différenciées et graduées à la crise, cette graduation se matérialise ensuite par l’installation de lits adaptés à chaque situation clinique et par un dégradé de couleurs nuancées sur les murs du couloir, devant chaque chambre.  

Une passerelle est aménagée entre deux bâtiments, selon le modèle de L’Engawa dans l’architecture traditionnelle japonaise, qui instaure un espace de transition, celui d’un entre-deux autour duquel s’articulent et se superposent le dedans et le dehors, entre les locaux réaménagés et la cour paysagée et qui permet aux patients de pouvoir expérimenter leur adaptation progressive à la réalité et à la liberté d’aller et venir. Nous avons veillé à intégrer dans les dimensions de la passerelle et des autres lieux de confluence, l’approche proxémique, du rapport à l’espace matériel, introduite dans les années soixante par l’anthropologue Edward T. Hall (8) afin de tenir compte de la proximité physique et du respect d’une juste distance entre les patients qui souffrent notamment de schizophrénie. Parce que « tout se passe comme si tout ce qui advient à l’intérieur de leur “distance de fuite” avait lieu littéralement à l’intérieur d’eux même » (9).

La passerelle a tout à la fois une fonction pratique : relier les différents espaces existant, fermés par des murs porteurs, ouvrir sur la cour intérieure et une fonction symbolique, et  matérialiser dans l’espace la notion de trajectoire de vie et de parcours de soin du patient, « L’architecture psychiatrique consiste à placer un patient avec ses problèmes au centre des préoccupations, de mettre en espace autour de lui des propositions de soins et de jeter des passerelles entre les deux. La trajectoire du patient prend corps dans l’expérimentation de ces passerelles» (10), symboliques et réelles.

Le long du promenoir qui longe et dessert les chambres, est aménagé un espace de transition sous la forme d’une banquette aux formes courbes, aux couleurs chatoyantes et à des hauteurs qui varient et suivent le mur droit et qui s’épanche comme une vague, « toujours recommencée ! »(11), elle propose au sortir de la chambre, espace de l’intimité, un espace de sociabilité, de pause, d’attente ou d’échange à travers différentes postures d’assises. Il aide à la proximité, pour échanger avec l’autre, en face à face pour susciter la rencontre… côte à côte pour se rassurer ou simplement seul pour méditer.

Notion d’apaisement

Enfin, le projet s’articule autour de l’installation au cœur de l’unité d’un dispositif au design innovant, la sphère d’apaisement. Il s’agit d’un outil de soin pour border d’images, de sons et de sensations apaisantes l’injonction de la crise, loger l’anxiété et la tension dans un espace circonscrit afin d’y mettre en scène la notion de contenance psychique. C’est une installation multimédia dont le design ovoïde doit favoriser l’immersion du patient anxieux ou tendu dans un environnement et une ambiance enveloppante, rassurante et multi sensorielle.

La sphère est positionnée au cœur du pôle d’apaisement de façon à être dans le parcours même du patient une alternative à l’isolement. La forme de la sphère renvoi à l’expérience de notre immanence dans une enveloppe vivante. Elle isole et protège tout en facilitant l’entrée en soi. La sphère représente donc le commencement, elle isole des stimuli extérieurs tout en facilitant le retour sur soi, le ressourcement intérieur en renouvelant la pensée créatrice.

Notre réflexion, s’est appuyée à la fois sur la fonction freudienne de pare-excitation qui « consiste à protéger l’organisme contre les excitations en provenance du monde extérieur qui, par leur intensité, risqueraient de le détruire » (12), et s’est inspirée des multiples suggestions de patients au travers d’un recueil de leur vécu exprimé sur de la Palette des émotions(13). Usagers auxquels nous laisserons le mot de la fin, « Quand mon cœur et mon cerveau chauffe, il faudrait un coin cocooning, une alcôve ronde, pour écouter de la musique, dans une lumière opalescente », ou bien encore, « pour m’apaiser, il faudrait que je puisse écouter de la musique relaxante, dans une pièce dédiée avec des petites lumières qui brillent comme dans un ciel étoilé, (…) en position semi allongée sur une assise enveloppante ».  

1– Carine Delanoê-Vieux, Thèse : Art et design : Instauration artistique, entrer hostilité et hospitalité des lieux de soins et habitabilité du monde, 2022.

2– Jean-Philippe Pierron, Ce que l’architecture fait au soin et inversement, Rhizome 2023/1, n°84.

3– Sofian Beldjerd, Faire le beau chez soi, dans Espaces et société, 2011.

4– Association Hospitalière Sainte-Marie, Arbre des valeurs, 2018.

5– Victor Castro, Le point de vue de l’architecte. Architecture pour la psychiatrie de demain, presse de l’EHESP, 2017

6– Jean-Paul Lanquetin, Carnet SocleCare GRSI, 2016.

7– Didier Anzieu, Les contenant de pensée, Dunod, 2003

8– Edward T. Hall La dimension cachée. Point essai, 1966.

9– Dominique Friard, Soins Etudes et Recherches en PSYchiatrie, 2020.

10– B. Laudat, J-C. Pascal, S Courteix, Y. Thoret. Mener un projet architectural en psychiatrie, Elsevier,2008.

11– Paul Valéry, Le cimetière marin, N.R.F. 1933.

12– Catherine Audibert, L’incapacité d’être seul, Payot & Rivages, 2011.

13– 2e prix des équipes soignantes en psychiatrie, édition 2020, projet soutenu par le Fondation de France.

Photo : Kogaone, 2021