Premier amour…

N° 280 - Septembre 2023
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À 17 ans, Lucille est suivie à la consultation Nineteen pour des épisodes dépressifs et des tentatives de suicide. Alors qu’elle semble apaisée, elle rencontre l’âme sœur...

Lucille, 17 ans, est suivie à la consultation pour jeunes adultes Nineteen depuis janvier 2023, suite à plusieurs épisodes dépressifs avec tentatives de suicide. Un traitement médicamenteux a été instauré et une relation de confiance se tisse, qui lui permettent d’aller mieux. Mais l’adolescente reste fragile. Très « fusionnelle » dans ses relations aux autres, elle a une fois tenté de se suicider après une rupture avec une jeune fille qu’elle considérait comme sa « meilleure amie » : « Je suis sans vie quand elle n’est pas là », confiait- elle. Plutôt bonne élève, elle éprouve parfois des difficultés à se rendre en cours, rapporte des troubles de la concentration et des problèmes d’organisation pour réviser et rendre ses travaux dans les temps. Elle se sent assez seule dans sa famille. Ses parents travaillent beaucoup, rentrent tard et se montrent peu soutenants.

« J’ai trouvé l’âme soeur »

En avril, Lucille rencontre Alex, un jeune homme un peu plus âgé qu’elle, et la tournure de nos entretiens change. Si elle l’évoque comme « son amoureux », elle hésite à lui faire confiance, refusant de le voir trop souvent pour « rester sérieuse et réussir ses études ».
Puis, rapidement, tout s’accélère. Envoyant valser ses hésitations, Lucille, émerveillée, me raconte « qu’elle a trouvé son âme sœur, son âme jumelle à qui elle peut tout dire ». Les tourtereaux passent des nuits entières dans le studio d’Alex, à discuter, refaire le monde, suspendus, comme si le temps n’existait pas, dans la magie du premier amour… Mais la jeune fille se couche à 7 heures du matin, se réveille à 14 heures et manque les cours. Elle est convoquée par la conseillère principale d’éducation de son lycée qui s’inquiète fortement de ses nombreuses absences alors que l’échéance du bac français approche. Un peu surprise, Lucille me fait remarquer « qu’elle s’inquiète plus pour elle que ses propres parents ». Lucille tente de se raisonner. Mais dès qu’ils ne sont plus ensemble, Alex lui manque terriblement, elle se sent vide, abandonnée. Elle voudrait l’aimer sans dépendre de lui. Elle a peur qu’il « l’utilise », puis « la jette ». J’évoque à demi-mot la question du désir mais Lucille se bloque, part précipitamment en me disant « qu’elle ne se sent pas prête », « qu’elle n’a pas envie de ça ».

Je revois Lucille courant juin. Elle va mieux, et m’explique qu’elle prépare son bac français. Alex lui a fait comprendre qu’il ne voulait pas d’une relation basée sur la fidélité et qu’il n’avait pas envie d’être en couple. Elle se demande alors quelle est sa place. Elle ne comprend pas pourquoi il refuse une relation exclusive alors qu’il semble tenir à elle. D’ailleurs, il veut la présenter à sa famille ce week-end. Lucille accepte de l’accompagner malgré ses doutes: «J’ai peur de tomber amoureuse de lui et de perdre le contrôle ».

Quelques jours plus tard, Lucille m’appelle, en pleurs. Elle a rompu avec Alex et aimerait m’en parler le plus vite possible. Bien sûr, cette situation peut sembler « banale » à son âge, mais compte tenu de sa pathologie, je lui propose un rendez-vous dès le lendemain. Je m’attends à la trouver effondrée mais elle s’installe face à moi avec un sourire triomphant: «Ça y est, c’est fini, je l’ai bloqué!» [sur son téléphone]. Elle a découvert, grâce à ses copines, qu’Alex est «un pervers narcissique» et qu’elle était « sous son emprise ». Ses amies l’ont mise en garde en lui racontant qu’il reproduit le même schéma depuis des années avec chaque fille pour la rendre dépendante avant de la «larguer» de manière brutale. Lucille assure que « tout est fini »!

« C’est trop flippant ! »

Je la laisse terminer et lui fais part de mon étonnement. J’essaie de lui faire comprendre que chaque histoire est unique mais Lucille s’énerve, me lance qu’Alex insistait pour avoir des rapports sexuels alors qu’elle ne le souhaitait pas, qu’il l’empêchait de travailler ses cours. Elle me paraît éviter ses émotions…

Je revois Lucille début septembre. Elle a passé ses épreuves du bac sans avoir beaucoup révisé mais elle va mieux, même si elle a toujours du mal à se lever le matin. Elle pense toujours à Alex, qu’elle a recroisé récemment mais qui l’a ignorée. « Nous étions si proches il y a quelques semaines et là nous sommes devenus deux étrangers, c’est trop flippant ! »

À l‘adolescence, la relation amoureuse est un moment intense, une formidable poussée d’énergie et de découvertes intimes… C’est aussi une période à risque pour cette jeune fille avec des troubles dépressifs et un manque d’estime de soi. Mais dans cet épisode, nous remarquons que Lucille ne s’est pas effondrée, au contraire, elle a su trouver des ressources, en elle et auprès d’amis…

VIRGINIE DE MEULDER
Infirmière, Consultation jeunes adultes Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.