L’effet tunnel en santé : de quoi s’agit-il et comment l’éviter ?

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La Haute Autorité de Santé (HAS) propose des « Solutions pour la sécurité des patients » (SSP) afin de sensibiliser les professionnels de santé au phénomène d’effet tunnel et aux mécanismes cognitifs pouvant altérer le raisonnement et la prise de décision clinique, et à leur proposer des stratégies pratiques pour mieux s’en prémunir ou en minimiser les impacts.

L’effet tunnel (ou « tunnelisation » attentionnelle) est défini comme toute situation dans laquelle l’attention du professionnel est tellement focalisée sur un objectif qu’il n’entend, ni ne voit des signaux d’alerte qui devraient l’amener à modifier son approche, voire à l’arrêter avant que ne survienne un évènement indésirable associé aux soins (EIAS).

Cette fixation de l’attention entraîne une fermeture mentale aux autres possibilités avec disparition de tout esprit critique. Ce quasi-blocage n’est pas perçu par le praticien et peut apparaître, vu de l’extérieur, comme une obstination. La pression du résultat, le stress, les alarmes et le bruit ne font que renforcer cette fixation. Ainsi, par exemple, l’opérateur persiste à vouloir réaliser un geste sur un patient malgré les échecs répétés d’essais itératifs, alors que la situation clinique du patient se dégrade.
D’autres facteurs peuvent contribuer à cet effet tunnel : l’inexpérience, le manque de concentration, une charge de
travail élevée, la fatigue, une trop grande confiance en soi, des conflits au sein de l’équipe…

Nous évoluons dans un environnement complexe, avec un grand nombre de données à intégrer et analyser, mais nous disposons de capacités cognitives limitées. C’est pourquoi nous utilisons au quotidien des raccourcis mentaux, qui nous permettent de prendre des décisions rapides et le plus souvent fiables. Ceux-ci nous sont indispensables mais peuvent parfois être source d’erreurs, s’ils sont utilisés dans la mauvaise situation : il s’agit alors de biais cognitifs, dont fait partie l’effet tunnel. 

Les SSP ont pour objectif de renforcer les mesures de prévention et de permettre soit d’annuler les conséquences d’un évènement indésirable en cours de constitution (récupération), soit de réduire leur impact (atténuation) en fournissant aux professionnels un outil pratique à mettre en oeuvre dans leur quotidien.

Analyse

L’analyse approfondie de la base de retour d’expérience (REX) a retrouvé 76 Evènements indésirables associés aux soins (EIAS) en lien avec un effet tunnel, déclarés entre mai 2016 et juin 2021. Ces EIAS étaient toujours associés à d’autres biais cognitifs (4 en moyenne). Dans 28 cas, ils ont entraîné le décès du patient ou un préjudice sévère. La majorité d’entre eux (n = 71/76) ont pourtant été considérés comme évitables ou probablement évitables par le déclarant. Les mesures les plus efficaces pour lutter contre l’effet tunnel ont été une réévalaution de la situation avec un temps de pause par exemple, une demande d’avis auprès d’un confrère ou des échanges au sein de l’équipe.

Ce travail suggère que l’effet tunnel :
– n’est pas si rare ;
– concerne tous les professionnels de santé, quelles que soient leur profession, leur spécialité ou leur expérience ;
– peut survenir à tout moment, en pré-, per- et post interventionnel,
aussi bien dans des situations à haute charge cognitive que dans des situations de routine ;
– peut être responsable de la survenue d’EIAS à la fois graves et évitables.

L’analyse des EIAS et des résultats des enquêtes a montré qu’il est délicat de détecter et s’extraire d’un effet tunnel. Ainsi, il est préconisé, en cas de difficulté :

  • d’exprimer à voix haute ses difficultés pour que l’équipe puisse intervenir au besoin, et inversement d’oser intervenir pour un collègue ;
  • de ne pas hésiter à solliciter l’avis d’un confrère ;
  • de prendre un temps de pause ou au moins de ralentir brièvement pour réfléchir.

Comment réduire les risques ?

Cette SSP propose une liste de solutions pour limiter la survenue et les conséquences d’un effet tunnel : 

  • sensibiliser au fonctionnement cognitif et à ses failles ; 
  • assurer un contexte organisationnel et humain favorable ; 
  • identifier les situations à risque ; 
  • mobiliser les outils disponibles (alarmes, check-lists, protocoles, etc.) ; 
  • mettre en pratique la métacognition (analyser son raisonnement), le slowing down (ralentir), faire un temps de pause ; 
  • appeler à l’aide si besoin (l’équipe ou un confrère). 

Pour les professionnels souhaitant aller plus loin dans leur compréhension du sujet, un tableau des principaux biais cognitifs en santé et une courte note bibliographique reprenant les principaux concepts sur les mécanismes cognitifs ont été inclus dans le document.   

L’effet tunnel en santé : comment faire pour en voir le bout ?, HAS, 6 juin 2023