Infirmières : une variable d’ajustement ?

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Ballotées depuis toujours entre desiderata des médecins, volonté d’économies, pénuries organisées, décrets d’actes qui changent en fonction des nécessités, les infirmières restent le pivot essentiel de l’organisation des soins à l’hôpital comme en ville. Quid des valeurs qui les portent et qui semblent tomber en désuétude ? C’est probablement là que le bât blesse. Depuis des décennies, la revue Pratiques alerte sur les conditions dans lesquelles on les fait travailler, or leur situation n’a fait que s’aggraver. Son dernier numéro questionne la place et le rôle des infirmières comme une variable d’ajustement.

L’hôpital entreprise, avec son lean management, a achevé de corrompre l’ensemble des métiers qui mettaient un peu d’humanité dans une médecine de plus en plus technique, centrée sur les organes et leurs dysfonctionnements, ajoutant aux difficultés des patients.  Il ne s’agit pas d’occulter les progrès indéniables de cette médecine, mais de poser la question du vécu par les patients de cette déshumanisation extrêmement rapide. La subjectivité compte pour beaucoup dans l’expérience de la maladie et c’est précisément dans cet espace que se situe le rôle propre des infirmières, dans cet espace négligé par la médecine et que les managers sont en train de faire disparaître. En effet, les infirmières n’ont plus le temps d’établir la relation privilégiée avec les personnes malades qui permet de les soigner et ne trouvent plus leur compte dans l’exercice de leur métier. Elles démissionnent en masse jusqu’à obliger la fermeture de 20 % au moins des lits hospitaliers. Les « techniciens du soin » qu’on tente de faire advenir ne sont pas des soignants, ce sont au mieux des exécutants, au pire des maltraitants. Tout est fait pour décourager les professionnels, qui tiennent encore sur des valeurs humaines, sur le désir d’aider ceux qui en ont besoin, sur le souci d’un autre souffrant que chacun de nous est, ou sera, à un moment ou un autre de sa vie. 

« Les infirmières sont le pivot essentiel de l’organisation des soins. or, le mépris de l’institution à leur égard les fait fuir par centaines. »

Ce n’est pas la pseudo intelligence artificielle qui va prendre soin de la population, pas plus que la dématérialisation des soins ou les consultations à distance, qui ne sont que des pis-aller en attendant que quelqu’un veuille bien prendre la peine de soigner. Cette évolution délétère fait le beurre de tous ceux qui ne veulent pas affronter la souffrance de trop près et qui ne s’intéressent qu’aux seuls « progrès » techniques et scientifiques, quitte à ce que ces progrès fassent l’impasse sur la relation et la singularité, qui sont les bases incontournables du soin. 

L’offre de soins fonctionne en « mode dégradé » depuis un bon moment déjà. Les infirmières n’ont-elles d’autre choix que de faire mieux dans un tel contexte ? Françoise Acker, sociologue

Comment sauver ce qu’il reste d’humanité dans la profession d’infirmière avant qu’elle ne disparaisse complètement ? Manifestement l’universitarisation de la formation n’a pas eu le moindre effet pour la reconnaissance de ce métier entre rigueur nécessaire et écoute du sujet souffrant. Comment renverser une politique de santé qui est en train de faire disparaître le service public et les valeurs qui le portent, comment résister au sabotage de ce que les soignants ont tant de mal à construire ? Comment retrouver le goût d’un soin qui ne se résume pas à son coût ? Et la rubrique Idées donne la parole à Christophe Dejours sur son parcours de chercheur autour des questions de santé au travail.

« Infirmière. Je l’aime pas ce nom », ou quelques réflexions sur le métier d’infirmière en psychiatrie et sa dérive réglementaire. Ainsi vont les temps modernes… » selon Blandine Ponet, infirmière

Découvrir le sommaire de ce n° 101 de la revue Pratiques – Cahiers de la médecine utopique consacré aux infirmières et les articles en accès libre.