Une histoire française de la psychothérapie institutionnelle

FacebookXBlueskyLinkedInEmail

En retraçant l’histoire transnationale de la psychothérapie institutionnelle, Camille Robcis explore les rapports politiques entre la pratique psychiatrique et la réflexion sur les institutions de soin durant les années 1945-1970. Un excellent article de Mickaëlle Provost à lire sur le site La vie des idées.

Dans son ouvrage passionnant, Disalienation. Politics, Philosophy, and Radical Psychiatry in Postwar France, Camille Robcis s’intéresse à l’histoire française de la psychothérapie institutionnelle, des années 1945 (depuis son développement au sein de la clinique de Saint-Alban dirigée par François Tosquelles) jusqu’aux années 1975. En mettant en réseau les figures de François Tosquelles, Frantz Fanon, Jean Oury, Félix Guattari et Michel Foucault afin de faire dialoguer les textes et perspectives, Camille Robcis cherche à retracer l’histoire clinique d’une pratique – celle de la psychothérapie institutionnelle où s’établissent des rapports nouveaux entre psychiatrie, psychanalyse, institutions politiques et de soin – et l’histoire politique (intellectuelle) d’une pensée de la désaliénation. Ces deux histoires se sont entremêlées après la guerre, au sens où l’aliénation fut comprise à partir du double sens distingué par Jean Oury, celui d’« aliénation sociale » et d’« aliénation psychopathologique », mais également au sens où Marx et Freud étaient, pour Tosquelles, les « deux jambes » de la psychothérapie institutionnelle (l’une devant toujours suivre l’autre).

Une histoire collective et transnationale

Chaque chapitre de l’ouvrage est consacré à une ou deux des cinq figures intellectuelles et leurs rapports sont envisagés depuis une appartenance à un espace problématique commun plutôt qu’en termes d’influence directe. Avant d’être une École ou un point de vue théorique, Robcis montre en quoi la psychothérapie institutionnelle est un mouvement de pensée inextricablement lié à des pratiques, à des amitiés intellectuelles, formant un monde dans lequel ont circulé philosophes (Georges Canguilhem), psychanalystes (Jacques Lacan), cliniciens, mais aussi poètes (Paul Éluard) ou artistes (Jean Dubuffet). C’est cette « constellation » (p. 13) de pratiques que veut retracer Robscis en faisant dialoguer les pensées des auteurs considérés, sans jamais les abstraire des contextes politiques et des communautés (notamment les lieux de soin) au sein desquels elles s’inscrivent. En ce sens, l’enquête de Robscis défait le mythe de l’auteur solitaire pour montrer à l’inverse l’importance des dialogues, échos, reprises et celle des conditions (matérielles, collectives, affectives) grâce auxquelles s’élabore toute pratique de pensée. Elle ouvre aussi vers une histoire transnationale de la psychothérapie institutionnelle – non franco-centrée – en mettant l’importance de l’expérience Catalane de François Tosquelles ou de la pratique psychiatrique de Frantz Fanon en Algérie puis en Tunisie.(…)

Lire la suite

La psychothérapie sur ses deux jambes À propos de : Camille Robcis, Disalienation. Politics, Philosophy, and Radical Psychiatry in Postwar France, The University of Chicago Press, Mickaelle Provost, 7 avril 2023.