Pour l’Adesm, il faut « agir enfin pour la psychiatrie, avant qu’il ne soit trop tard » !

FacebookXBlueskyLinkedInEmail

A la suite de plusieurs acteurs de la psychiatrie, l’Association des établissements du service public de santé mentale (Adesm) alerte à son tour sur les difficultés profondes des établissements et le risque de rupture de beaucoup d’entre eux. Partageant leurs constats et leurs préoccupations, elle réclame une politique forte, érigeant la santé mentale en Grande Cause Nationale, et traduite dans un plan à 5 et 10 ans de rénovation de la psychiatrie et de promotion de la santé mentale. « Agir enfin exigera aussi un large renouveau de la représentation des acteurs de la psychiatrie, concluent les directeurs, faisant appel aux jeunes professionnels et à l’ensemble des forces émergentes en santé mentale, favorables à la transformation des organisations et des pratiques » … mais en risque de quitter le service public si rien n’est fait.

Les psychiatres d’exercice public se sont mobilisés le 29 novembre, puis la Conférence nationale des Présidents de CME de CHS, par un communiqué du 1er décembre, est venue à son tour souligner la gravité et l’urgence de la situation du service public de psychiatrie. Le Bureau national de l’Adesm partage leurs constats, leurs préoccupations et leur alerte. Il tient à apporter un soutien tout à fait net des institutions et des directeurs à leurs légitimes revendications pour les établissements du service public, et pour la revalorisation et l’attractivité de leurs conditions d’exercice. Tout comme ils soutiennent celles des soignants pour la qualité de leur formation et la mise à niveau de leurs rémunérations, en reconnaissance des spécificités de leurs compétences et de leurs conditions d’exercice professionnel.

Ils confirment que les conditions de mise en oeuvre depuis 2021, alourdies en 2022, des nouvelles dispositions relatives à l’isolement et à la contention ont nettement aggravé une situation partout déjà très tendue dans les établissements. Ceci bien entendu ne vise pas à mettre en cause la finalité de réduction de ces pratiques, trop longtemps retardée dans notre pays, mais à souligner une fois de plus que le processus ayant abouti à la situation actuelle constitue l’illustration même des dysfonctionnements systémiques à l’oeuvre depuis maintenant deux décennies au moins dans notre système de santé mentale (Lettre Adesm et propositions du 08 janvier 2021 à la DGOS et au DMSMP).

Les directeurs du service public, qui n’ont à aucun moment versé dans le catastrophisme, alertent justement sur les difficultés profondes de tous les établissements, et le risque de rupture de beaucoup d’entre eux, quand bien même elle n’est pas déjà évidente en de nombreuses parties du territoire national, en particulier pour la pédopsychiatrie du fait de la pénurie médicale. L’offre de soins ambulatoire se délite souvent. La pression sur les urgences s’accroit sans cesse. Le placement en soins sans consentement peut parfois devenir la condition d’accès à l’hospitalisation. L’aval des unités d’hospitalisation, quand un retour à domicile n’est pas possible ou en l’absence de domicile, s’avère de plus en plus saturé du fait des difficultés du secteur du handicap, du logement et de l’hébergement des personnes précaires, ainsi que des EHPADs. La pression partout sur les lits maintenus ouverts est surtout la conséquence du dévissage des autres dispositifs, par effet de ciseaux entre l’offre de soins et les besoins de santé mentale de la population. Avec un risque de retour à un modèle asilaire ou du moins marqué par l’enfermement en institution.

Effectivement, les causes sont maintenant décrites depuis longtemps, et préexistaient à la crise du COVID 19. La crise de la psychiatrie dans la santé mentale est en effet devenue systémique depuis bientôt une décennie, faute d’attention et de ressources suffisantes. Mais elle est aussi le produit de la tension manifeste entre des problèmes laissés sans solution dans la durée et des dynamiques réelles de transformation, portées à leur seule initiative par les acteurs et les établissements sur les territoires, notamment via les projets des institutions et les Projets territoriaux de santé mentale – PTSM. Répondant ainsi à la demande d’engagement des patients et des personnes concernées par les troubles psychiques, et aux nouvelles attentes de nos concitoyens pour leur santé mentale, malgré la persistance du stigma de la maladie psychiatrique. Evidemment, les solutions sont aussi connues et toutes à notre portée, comme certains établissements et communautés médicales et soignantes ont commencé de le démontrer, et à l’exemple de nombreux pays voisins. L’accumulation des rapports et préconisations sur la psychiatrie et la santé mentale depuis bientôt 20 ans, mais si peu suivis d’effets concrets, confirme le caractère dysfonctionnel durable du pilotage de la discipline. Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, conclues par l’annonce d’une série de mesures pour certaines positives et importantes, mais quasi toutes ponctuelles, ne pouvaient constituer la réponse adaptée à l’ampleur, à la complexité et à la gravité de la crise et des enjeux. La situation de tous les établissements s’est même aggravée au cours de la dernière année, et les projets territoriaux de santé mentale ne disposent ni des outils ni des ressources pouvant permettre leur mise en oeuvre réelle. La réforme du financement et celle des autorisations d’activités de soins ne sauraient être que des leviers, mais en aucun cas constituer des objectifs en elles – mêmes, au risque de mettre encore plus à nue les impasses actuelles de notre système de soins. Des négociations ponctuelles en janvier au ministère, même nécessaires et légitimes, n’y changeront rien. Cela n’est plus le sujet ni la réponse possible. Il faut par nécessité voir plus large et au – delà. Car nous sommes maintenant parvenus au point de rupture du service public de psychiatrie. Il faut donc agir et le faire vite avant qu’il ne soit définitivement trop tard face à l’ampleur de la crise et des besoins de nos concitoyens.

C’est pourquoi, la pédagogie et le principe de réalité de l’Adesm depuis maintenant 5 ans, c’est de rappeler, conjointement avec beaucoup d’autres acteurs, qu’il y faut une politique de l’Etat, érigeant la santé mentale des Français en Grande Cause Nationale, et traduite dans un plan à 5 et 10 ans de rénovation de la psychiatrie et de promotion de la santé mentale. C’est de souligner aussi que ce plan exigera la création sans délai d’une Agence nationale de la santé mentale et de la psychiatrie, rattachée directement au Ministre de la santé, voire au Premier ministre. La complexité des questions à traiter, y compris celles cliniques et des pratiques de soins dans les établissements et entre eux sur les territoires, d’innovation et de recherche aussi, pour la pertinence des soins du quotidien, nécessite à l’évidence un pilotage enfin unifié et non plus dispersé ; également stable dans la durée car il y faudra enfin de la constance, de la cohérence et de la continuité pour escompter dégager des solutions de long terme à hauteur des enjeux.

Pour les Directeurs de l’Adesm, c’est donc d’une rupture avec ce qui ne marche plus dont il est question. C’est pourquoi agir enfin exigera aussi un large renouveau de la représentation des acteurs de la psychiatrie, faisant appel aux jeunes professionnels et à l’ensemble des forces émergentes en santé mentale, favorables à la transformation des organisations et des pratiques ; forces dont nous savons qu’elles sont désormais majoritaires dans le pays réel, et qui quitteront nos établissements si rien n’est fait. Réformer dès 2023 nécessitera également une large déconcentration des initiatives et des actions, en régions et dans les territoires, au plus près des personnes concernées, des professionnels et des établissements de soins.

A Lyon, le 8 décembre 2022
Les membres du Bureau national de l’Association des établissements du service public de santé mentale
ADESM@ch-le-vinatier.fr