Un moratoire sur « un tout nouveau projet d’unité de soins intensifs en psychiatrie » (Usip) est demandé au ministère de la Santé et de la Prévention par les principaux représentants de la psychiatrie publique, ainsi que le lancement rapide d’une mission dédiée à ces unités, associant notamment les représentants des patients et des familles. Communiqué.
Au moment où la place des unités de soins qualifiées d’Unités de Soins Intensifs en Psychiatrie (USIP) est à nouveau évoquée dans l’offre de soin hospitalière, les signataires tiennent à exprimer leur ferme opposition à la mise en place de toute structure de soins de ce type n’ayant pas de statut validé nationalement. Dans le contexte de crise majeure que connaît la psychiatrie publique, ils y voient les symptômes de la déliquescence annoncée pour laquelle ils avaient alerté les pouvoirs publics dès septembre 2018. Ils rappellent que les travaux sur le régime des autorisations n’ont prévu aucun cadre légal pour des dispositifs qui ne font pas consensus dans la profession et dont l’installation a fait fi de l’opposition à leur création maintes fois exprimée par les représentants nationaux des patients et des familles. Ces dispositifs s’autoprévalant de soins intensifs n’ont aucun équivalent à l’étranger.
La généralisation de ces unités va à l’encontre des principes de la psychiatrie publique : atteinte à la proximité et à la continuité des soins, stigmatisation du patient réduit à un symptôme, éloignement de ses proches et de leur soutien, risque d’atteinte à la dignité et à aux droits par l’instauration de protocoles locaux, recours privilégié à l’enfermement, à la contention et à l’isolement comme principes thérapeutiques … Ce registre d’indications de soins intensifs ne peut se concevoir qu’adossé aux UMD qui disposent des conditions techniques et légales de fonctionnement qui leur sont propres et de professionnels formés ce qui garantit des soins de qualité.
Le développement des USIP dont les indications principales affichées sont les décompensations des pathologies prises en charge par le secteur : schizophrénies et troubles bipolaires, amplifiera la perte de compétence et d’investissement des équipes de psychiatrie de secteur dans la gestion des situations de crise. Cela ne pourra qu’aggraver la dégradation de la qualité et de la sécurité des soins que nous observons aujourd’hui. Tout se passe comme si n’était tenu aucun compte de la recommandation de bonnes pratiques de la HAS sur « Mieux prévenir et prendre en charge les moments de violence dans l’évolution clinique des patients adultes lors des hospitalisations en services de psychiatrie ».
Partir du constat que de nombreuses équipes n’ont plus un personnel formé et compétent en nombre suffisant pour conclure à la nécessité d’ouverture de nouvelles USIP ne résout en aucune façon le problème posé par ce déficit quantitatif et qualitatif. Il est d’ailleurs à souligner que de nombreuses USIP sont en difficulté de recrutement de personnel tant médical que soignant. Les difficultés actuelles ne sauraient excuser la réinvention des maisons de force des asiles d’aliénés dont patients, familles et professionnels ont abattu les murs au siècle dernier. C’est pourquoi nous demandons un moratoire sur tout nouveau projet d’USIP et qu’une mission associant notamment les représentants des patients et des familles soit rapidement mise en place.
Communiqué de presse et signataires :
Marie-José CORTES, Présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)
Claude FINKELSTEIN, Présidente de la Fédération Nationale des Associations d’usagers en Psychiatrie (FNAPSY)
Delphine GLACHANT, Présidente de l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)
Pascal MARIOTTI, Président de l’Association des Etablissements du service public de Santé Mentale (AdESM)
Gladys MONDIERE, Présidente de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP)
Annick PERRIN-NIQUET, Présidente du Comité d’Etudes des Formations Infirmières et des Pratiques en Psychiatrie
(CEFI-Psy)
Marie-Noëlle PETIT, Présidente de l’Association Nationale des Psychiatres Présidents et Vice-Présidents de Commissions Médicales d’Etablissements des Centres Hospitaliers (ANPCME)
Marie-Jeanne RICHARD, Présidente de l’Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapés
psychiques (UNAFAM)
Christophe SCHMITT, Président de la Conférence nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement de Centres Hospitaliers Spécialisés
Norbert SKURNIK, Président de l’Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)
Olivier TELLIER, Président de l’Association française des Unités pour Malades Difficiles (UMD)
Michel TRIANTAFYLLOU, Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)
Pour en savoir plus lire l’article « Cap vers la défense sociale » de Dr Michel DAVID sur le site de la Fédération française de psychiatrie – Lire le pdf
• llustration : Signori, « Prière obligatoire »
Le concept d’Unité de soins intensifs en psychiatrie (Usip) a vu le jour dans les années 1970 aux États- Unis et en Angleterre, où ce modèle s’est le plus développé, à partir de recommandations spécifiques et de nombreux travaux. On trouve également ce type de structures en Norvège, Suède, Canada, Australie, Slovénie. L’Usip prend en charge des patients présentant un état psychiatrique aigu avec des troubles du comportement à risque (agitation, agressivité, suicide, fugue). Le plus souvent, c’est une unité de petite taille, offrant des outils thérapeutiques spécifiques, pour une durée d’accueil limitée (1). Le concept fondamental est celui de la ségrégation du patient (2), pour le protéger de stimulations et de tensions pathogènes émanant des autres. Parallèlement, il s’agit de ne pas systématiquement l’isoler et au contraire de renforcer la présence soignante et la relation thérapeutique (réassurance, désescalade, surveillance, évaluation plus détaillée, occupations thérapeutiques). Les structures de ce type améliorent la prise en charge des états pathologiques intenses et compliqués et permettent de réduire les risques de violence (2) et le recours aux moyens plus coercitifs de contention o u d’isolement ( mis e en chambre de soins intensifs [CS I ]). En France , les premières Usip ont été créées à un niveau intersectoriel régional et avec des critère s d’admission restrictifs (patients en soins sous contrainte, durée de séjour maximale de deux mois) (3). Ces unités répondent aux besoins de services en difficulté et offrent ainsi une réponse intermédiaire entre le secteur et les Unités pour malades difficiles (UMD). Unité de soins intensifs en psychiatrie, Pierrick LEBAIN, Psychiatre, Usip, CHU de Caen, Sonia DOLLFUS, Professeur de Psychiatrie, Université de Caen, Basse-Normandie, Chef de Pôle, CHU de Caen, Santé mentale n° 187, 2014