19/07/2022

« N’en parlez à personne, mais ça me fait du bien d’être ici ! »

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Claire la psychologue de l’Ehpad entame avec Mona, 83 ans, un suivi marqué par une solide alliance thérapeutique. En plus d’entretiens réguliers, l’hypnose s’avère une approche particulièrement pertinente pour cette femme qui souffre d’un attachement insécure ambivalent et d’une maladie de Parkinson handicapante et douloureuse.

« Vite, ça c’est une urgence pour la psy ! »

Je suspends l’échange en cours avec un collègue pour identifier la provenance de l’appel. C’est l’infirmière coordinatrice qui me cherche. Madame C., 83 ans, vient de quitter l’établissement en fanfare, suite à un conflit avec un soignant. « Il faut que tu la rattrapes, il y a un risque suicidaire ! ».

Je ne connais pas Madame C., étant arrivée une semaine avant, mais je sais qu’elle rencontre de nombreuses difficultés, la psychologue que je remplace m’a prévenue. Par ailleurs, l’équipe est marquée par deux tentatives de suicide parmi les résidents au cours des dernières années, dont une ayant aboutie.

J’écoute donc la peur de mes collègues, et pars à la poursuite de Madame C. Je la rattrape au bout de la rue, marchant vite malgré son âge. Je me présente, lui explique que l’on m’a chargée de la raccompagner à l’établissement : on s’inquiète pour elle. Elle se rebiffe et se met en colère : elle est libre de circuler, non ? Je lui répète que je ne suis que la messagère de l’affolement des soignants, et que je ne compte pas l’empêcher de partir, quelles qu’en soient les raisons. L’échange dure quelques minutes, en pleine rue. Nous sommes absorbées, elle par sa colère, justifiée ; moi par mes incertitudes, partagées entre mon souhait de me rassurer ainsi que mes collègues mais aussi de respecter les attentes de cette résidente et de ne pas casser toute possibilité d’alliance thérapeutique avec elle, qui aura, a priori, besoin que je prenne le relais de son suivi.

Madame C. se calme et rentre avec moi à contrecœur. L’incident est clos. Je lui rends visite quelques jours plus tard pour lui présenter mes excuses et lui exposer ma situation. L’échange se termine rapidement, mais dans le calme. Au fur et à mesure de mes passages, Madame C. s’adoucit et s’excuse aussi. Nous sommes deux à être confuses. Puis cette surprenante prise de contact laisse place au suivi. Elle s’ouvre peu à peu : l’alliance thérapeutique s’établit et se renforce notamment suite à ma médiation dans un nouveau conflit entre elle et un soignant. Les choses s’apaisent.

« La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême. »

Boris Cyrulnick (1)

Un sentiment de persécution

Je découvre une femme qui manque terriblement de confiance en elle et souffre visiblement d’un attachement insécure ambivalent (2). Éprouvée par une négligence émotionnelle infantile (3), elle a épousé un homme avec lequel elle répète ce schéma relationnel. Madame C. est marquée par le sceau de l’humiliation. Je devine dans ses propos les tromperies de son mari. Elle s’est pourtant battue pour sa famille et a fait des petits boulots pour élever leurs six enfants. Depuis quelques années, elle vit dans l’établissement avec son époux, qui a perdu une partie de son autonomie en raison de troubles cognitifs. Leurs chambres sont éloignées en raison de leurs relations délétères. Madame C. se réfugie dans la couture et les longues promenades. Elle ne supporte pas l’Ehpad mais a voulu continuer de vivre avec son époux, d’autant qu’elle souffre de Parkinson. Ses propos traduisent un sentiment de persécution latent, prêt à la faire exploser dans de vives colères qui ne durent pas. En effet, en s’isolant, Madame C. répète un sentiment bien connu d’exclusion, de rejet, qu’elle combat ensuite vivement en se rapprochant des soignants.

« Appelez-moi par mon prénom »

Quelques mois plus tard, Madame C. se casse l’épaule suite à une chute. Une prothèse est posée, et des douleurs s’installent malgré les antalgiques et la rééducation.N’accordant sa confiance qu’avec difficulté, Madame C. accepte une séance d’hypnose qui la soulage et elle peut reprendre la couture. Je lui propose de s’envelopper dans une couverture en patchwork pour se sentir en sécurité. D’autres séances suivent et apportent un peu d’apaisement, mêlant hypnose et entretiens. Et puis, un jour, j’ai le droit à un : « Après tout ce que nous avons traversé, appelez-moi par mon prénom. Mona, c’est mieux non ? » Quelle évolution dans notre alliance thérapeutique, quand je repense à notre rencontre… Évidemment, j’accepte. Merci l’hypnose (4) !

Cependant, la situation de Mona n’évolue guère dans le bon sens : l’état de son époux se dégrade, il ne la reconnaît parfois plus et lui demande où est sa femme. De son côté, sa maladie de Parkinson s’aggrave. Des tremblements importants la gênent au quotidien, allant même jusqu’à la réveiller la nuit. Mona s’épuise. Souffrant de gastralgies probablement liées à ses angoisses. Elle perd peu à peu l’appétit, se plaint de douleurs diffuses mais refuse les antalgiques qu’elle ne supporte pas. Elle fait des cauchemars, a des hallucinations. Son médecin traitant se sent impuissant, les soignants aussi. Mona se bat cependant pour garder son autonomie et continuer de marcher. La couture n’est plus d’actualité.

« Cela me fait du bien »

L’hypnose n’est pas facile. Lors des séances alternent des moments de relâchement, de crispation et d’agacement, lorsque les tremblements reprennent. Le tremblement d’une de ses jambes fait même bouger le lit bruyamment. Quand je demande à Mona d’adopter une position de confort pour la séance, elle s’installe systématiquement sur le côté, avec une de ses mains qui serre le cadre du lit, et une de ses jambes qui bloque l’autre. Je fais avec. J’introduis la métaphore de l’arbre pour l’ancrer, lui redonner confiance en elle. Racines bien profondes, tronc solide, branchages, feuilles et fleurs, oiseaux et papillons… Une sève dorée et nourrissante circule… Mais sa jambe l’irrite, elle perd sa concentration. L’alternance de moments de conscience critique et de conscience virtuelle approfondissent peut-être sa transe. Je pose ma main sur le pied de la jambe récalcitrante, et évoque les mycorhizes (5), « champignon ami », qui aide l’arbre à s’ancrer, à récupérer dans les profondeurs du sol ce dont il a besoin… Mona s’apaise. À la fin de la séance, elle veut se reposer, et s’endort rapidement.

Mais toutes les séances ne connaissent pas ce succès, car Mona est fatiguée, éprouve des difficultés de concentration et ne se sent pas assez « en forme » pour de l’hypnose. Les entretiens s’approfondissent, elle dépose des choses lourdes. Elle répète aussi régulièrement des choses déjà évoquées précédemment, alors qu’elle ne présente pas d’autres troubles cognitifs. Des difficultés familiales s’ajoutent à ce contexte. J’échange avec la neuropsychiatre qui suit Mona.

Puis, suite à une chute, c’est le passage aux urgences. L’hôpital la « garde » plusieurs semaines, pendant lesquelles Mona est désorientée et subit une angoisse de mort massive. À son retour à l’Ehpad, elle me confie être heureuse de rentrer enfin « chez elle ». Un séjour en clinique spécialisée, pour de la rééducation et des soins adaptés, lui est proposé. Mona refuse : elle a peur des hôpitaux, et veut mourir ici. Les soignants, sa famille et moi-même, tout en respectant ses choix, essayons de la rassurer et de mettre en avant les bienfaits d’un tel séjour. J’imprime des photos du lieu, cherche et lui transmets des informations concrètes, pour la rassurer. Elle finit par accepter et part pour 15 jours (au lieu d’un mois initialement proposé).

Au bout de la quinzaine, je l’ai au téléphone : « Claire, n’en parlez à personne : je vois le médecin cet après-midi, j’ai décidé de rester encore, cela me fait du bien »…

Claire Lormeau, psychologue
Crédit photo Didier Carluccio

1– Cyrulnick, B. (1993). Les nourritures affectives. Odile Jacob. 256p.
2– Bardot, V. & Ostermann, G. (2021). Chapitre 16. Attachement et hypnose. Dans : Antoine Bioy éd., 17 cas pratiques en hypnothérapie (pp. 274-289). Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.bioy.2021.01.0274
3– Lachaussée, S., Bednarek, S., Absil, G. & Vanmeerbeek, M. (2012). Les enfants négligés : ils naissent, ils vivent mais ils s’éteignent. Carnet de notes sur les maltraitances infantiles, 1, 4-9. https://doi.org/10.3917/cnmi.121.0004
4– Fareng, M. & Plagnol, A. (2014). Dissociation et syndromes traumatiques : apports actuels de l’hypnose. PSN, 12, 29-46. https://doi.org/10.3917/psn.124.0029
5– Résultat de l’association symbiotique, appelée mycorhization, entre des champignons et les racines des plantes. (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mycorhize)