Plusieurs « fugues » de patients ont été relayées dans la presse ces derniers temps, mettant en cause les compétences des services de psychiatrie (1). Il s’agit pourtant d’une problématique complexe et d’une préoccupation constante des professionnels de santé. Que dit le droit ?
À titre liminaire, intéressons-nous aux mots employés. Étymologiquement, la « fugue » (du latin fuga) désigne l’action de fuir, la course rapide. Le terme évoque classiquement la situation d’une personne mineure qui quitte le foyer familial à l’insu de ses parents. Ce que le Code pénal nommait alors « le vagabondage des mineurs » a constitué une infraction jusqu’en 1935. Mais en droit français aujourd’hui, il n’existe pas de définition de la « fugue ». Sur un plan juridique, il serait donc préférable d’opter pour la dénomination de « sortie sans autorisation » (SSA) ou de « sortie à l’insu du service », même si le langage courant conserve, quant à lui, le mot « fugue ».
Ni la loi, ni le règlement ne viennent décliner la conduite à tenir en cas de constat de sortie sans autorisation (SSA) d’un patient. Devant le silence des textes, seule la jurisprudence apporte un éclairage. En cas d’incidents voire d’accidents à la suite d’une telle sortie (dommages subis par l’intéressé ou causés à des tiers), le juge pourra en effet être amené à se prononcer sur la responsabilité de l’établissement de santé : la SSA d’un patient constitue-t-elle une faute imputable à l’hôpital dans l’organisation et le fonctionnement du service ? Le juge examinera alors l’ensemble des démarches mises en œuvre par l’établissement aux fins de retrouver l’intéressé. Si la jurisprudence ne permet pas de dégager un principe précis, l’accomplissement minimal d’un certain nombre de diligences peut être préconisé. Précisons qu’elles concernent l’ensemble des patients hospitalisés, quel que soit leur mode de prise en charge. De jurisprudence constante, la circonstance qu’une personne soit en soins libres ne dispense pas de l’accomplissement des démarches de prudence en vue de s’assurer de l’absence de problématique future. L’établissement se voit confier une obligation de moyens.
Conduite à tenir
L’obligation de moyens signifie que l’institution doit mobiliser tous les outils dont elle dispose. L’analyse de la jurisprudence administrative permet de proposer plusieurs préconisations.
• Effectuer des recherches
Dès que la sortie à l’insu du service est constatée, il convient d’effectuer des recherches dans l’enceinte de l’établissement et à ses abords. Celles-ci sont facilitées lorsque les hôpitaux disposent d’un renfort par le biais du service sécurité. Dans la mesure où cette action ne constitue pas une obligation juridique, sa mise en œuvre s’apprécie dans une temporalité adaptée, en lien avec le souci de ne pas mettre les équipes en sous-effectif ou en difficulté, en appréciant in concreto s’il convient d’orienter ses recherches selon un certain nombre de paramètres : moment de découverte de l’absence du patient, le fait qu’il soit connu ou non, ses habitudes, personnalités des usagers pris en soins à ce moment-là au sein de l’unité, nombre de patients en soins sans consentement… Dans certains cas, les professionnels de santé peuvent également essayer de contacter le patient sur son portable.
• S’adresser aux services de police
et/ou de gendarmerie
Un signalement aux fins de recherches de la personne peut être adressé aux services de police et/ou de gendarmerie. Les us et coutumes conduisent à solliciter l’avis du médecin référent sur cette opportunité, notamment pour les patients en soins libres. On observe que les pratiques institutionnelles tendent à effectuer ces signalements de façon systématique, au nom du principe de précaution. Par ailleurs, la vulnérabilité du sujet doit renforcer la prudence, car, en cas de reconnaissance d’une faute, les juges sanctionnent plus sévèrement les hôpitaux lorsque la victime d’un dommage est une personne vulnérable. En l’absence de cadre juridique, il est de fait préconisé d’effectuer un signalement en contactant les services de police et/ou de gendarmerie du ou des lieux où le patient est susceptible de se trouver : son domicile, celui de ses parents, de la personne de confiance, du « petit ami » connu… Selon le moment du constat de l’absence du patient, par exemple si ce dernier a été aperçu très récemment en train de quitter l’hôpital, un signalement pourra être adressé aux services de police et/ou de gendarmerie du lieu d’implantation de la structure. Sur avis médical, pour une recherche plus active, une transformation de la mesure de soins en soins à la demande du représentant de l’État peut être sollicitée auprès du préfet (2). Il est à noter que des démarches de géolocalisation de la personne peuvent être sollicitées auprès de ces services dans le cadre de situations inquiétantes.
• Informer les proches
L’information de l’entourage doit être délivrée en fonction des informations énoncées par le patient (demande de non-divulgation de sa présence, refus de désigner une personne de confiance) et des liens entretenus avec sa famille (situation conflictuelle, patient en situation de divorce…). En l’absence de certitude de pouvoir informer le conjoint, la personne à prévenir, la personne de confiance, le respect du secret professionnel invite à une grande prudence. L’appréciation s’effectue à la lumière de l’ancienneté des informations administratives consignées dans le dossier du patient. Rappelons que la violation du secret médical constitue une infraction pénale. Comme le rappelle souvent le Conseil de l’ordre des médecins, seules quatre dérogations à ce secret ont été introduites dans le Code pénal (3) : les situations de maltraitance envers les enfants, la détention d’armes ou le projet d’acquérir une arme par une personne potentiellement dangereuse, les violences conjugales. Néanmoins, en dehors de ce cadre juridique dérogatoire, l’état de nécessité peut légitimer une information auprès des services de police ou de gendarmerie si le médecin estime que le patient est face à un danger actuel ou imminent. Au sein du chapitre du Code pénal traitant des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, l’article 122-7 relatif à l’état de nécessité dispose en effet : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ». La sauvegarde de l’intégrité de la personne peut ainsi légitimer un appel auprès des proches susceptibles d’aider à localiser le patient. Le médecin sera amené à apprécier si les conditions sont réunies.
• Informer les tiers selon le statut du patient
Selon le statut juridique du patient, il conviendra également d’informer :
– le mandataire judiciaire lorsque la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique ;
– le tiers demandeur dans le cas d’une mesure de soins à la demande d’un tiers (SDT),
– l’Agence régionale de santé (ARS) dans le cas d’une mesure de soins à la demande du représentant de l’État (SDRE) ;
– l’administration pénitentiaire et le procureur de la République pour des patients détenus hospitalisés dans le cadre des dispositions de l’article D 398 du Code de procédure pénale ;
– les représentants légaux pour les mineurs hospitalisés à leur demande ;
– le parquet des mineurs pour les mineurs hospitalisés dans le cadre d’une ordonnance de placement provisoire (OPP) (4).
• Veiller à la traçabilité !
Toutes ces démarches doivent être entreprises dans les meilleurs délais, et rigoureusement tracées, en particulier dans le dossier du patient car pour la justice, « ce qui n’est pas écrit dans le dossier est réputé ne pas avoir été fait ». La traçabilité reste le maître mot du juriste !
Notons pour conclure que l’établissement doit également pouvoir démontrer qu’il prend toutes les mesures nécessaires pour prévenir ce risque de fugue. Dans cette perspective, la surveillance du patient dans les services de psychiatrie fera l’objet d’un prochain article.
Valériane Dujardin-Lascaux,
Juriste, EPSM Lille-métropole.
1– Plusieurs fugues du CH Edouard-Marchant à Toulouse ont ainsi été relayées par plusieurs médias grand public début 2022
2– Article L.3212-9 du Code de la santé publique.
3– Article 226-14 du Code pénal.
4– Article 375-3 du Code civil : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier (…) 5° A un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé. (…). »