Danser pour oublier la mort…

N° 268 - Mai 2022
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A 21 ans, Hugo, danseur passionné, traverse un épisode dépressif sévère. Une infirmière l’accompagne, notamment pour l’aider à repérer ses pensées suicidaires

Un soir, après ses cours de danse, Hugo, 21 ans, fait semblant de suivre ses camarades pour boire un verre mais il s’arrête, et s’assied sur un banc. Il pense à « cette vie de merde qui fait chier », il se dit que « tout ce qu’il fait ne sert à rien et n’a pas de sens ». Quand il redresse la tête, il est seul, les autres ont disparu. Hugo réfléchit aux moyens d’en finir à coup sûr, et si possible sans douleur. Peut-être se jeter sous une voiture, là-bas ? Est-ce que cela suffirait pour mourir ? Est-ce que cela l’enverrait danser là-haut, dans les étoiles ? Il se met à calculer la vitesse de l’impact s’il court de toutes ses forces, puis se jette sous la voiture mais son cerveau lui dit que ça ne suffira pas, qu’il risque d’avoir mal et de faire souffrir ceux qui l’aiment, ses amis, ses parents. Alors il renonce, pour ce soir, et décide d’appeler à l’aide.

Surveiller les idées suicidaires

Hugo nous a ainsi été adressé il y a deux semaines par les urgences, suite à des idées suicidaires scénarisées. Il présente depuis quelques mois un épisode ­dépressif sévère avec des symptômes psychotiques atténués. Dans le cadre du suivi par Nineteen*, il prend un traitement antidépresseur et, entre les rendez-vous médicaux, je suis chargée en tant qu’infirmière d’évaluer son état psychique et les effets du traitement, et de rechercher la présence d’idées suicidaires.

Hugo est danseur dans un Conservatoire. Il me confie que la danse lui permet d’oublier « le néant et l’idée de la mort quotidienne ». Il pratique le classique, le modern-jazz et les claquettes et passe des auditions pour participer à des comédies musicales. Il est musclé, marche avec grâce, la tête haute, l’air supérieur. Son emploi du temps est particulièrement dense et il travaille avec ardeur et acharnement, pour maîtriser ce grand corps qui lui obéit quand il s’élance sur scène. Hugo est exigeant. Il peut se mettre en colère quand il juge que ses partenaires ne sont pas assez concentrés ou que la chorégraphie n’est pas suffisamment fluide et soignée. Une rigidité qui lui a valu des sarcasmes, même s’il fait des efforts pour se rendre « sympathique ».

Après une semaine d’arrêt, suite à l’épisode du banc, Hugo reprend ses cours. Il me dit qu’il travaille tellement qu’il n’a plus le temps de penser. Il prend régulièrement son traitement, mais se sent fatigué, comme « drogué par le médicament » et dort un peu moins. Il éprouve parfois des perceptions corporelles bizarres comme l’impression d’avoir le sang froid, et même, furtivement, que quelqu’un le touche. Il a toujours des idées suicidaires, surtout le week-end, mais elles sont moins intenses. Il me raconte par exemple qu’il s’était assis sur l’herbe dans un parc, et qu’il s’était soudain demandé si les plantes du jardin étaient toxiques, et s’il pourrait mourir d’en ingérer. Nous avons évoqué avec lui la conduite à tenir si ces pensées deviennent trop envahissantes, et il a repéré, en les classant par ordre croissant, les personnes ou les lieux à contacter (amis, parents, hôpital).

Le langage du corps

Hugo me montre une vidéo où il danse sur un morceau de West Side Story. Il l’a envoyée pour une audition et attend une réponse. Ce n’est plus un jeune homme raide et froid que je vois évoluer mais un danseur qui exprime des émotions subtiles avec son corps et peut, avec ses partenaires, incarner l’amitié et la jeunesse, la vie.

A Nineteen*, les jeunes peuvent ainsi bénéficier de soins préventifs, éducatifs, et de bilans et d’évaluations pour mieux comprendre les troubles, poser un diagnostic et permettre un suivi le temps de leur période à risque. Petit à petit, nous essayons de tisser une relation de confiance avec Hugo et de lui donner des béquilles pour sortir de cette crise existentielle. Il s’agit de le soutenir avec le traitement médicamenteux mais aussi de lui offrir un espace pour verbaliser ses idées noires, comprendre comment il peut les gérer au quotidien et déposer son angoisse. Face à l’énigme du suicide, à la peur du passage à l’acte, un accompagnement au jour au jour…

Virginie De Meulder
Infirmière, Consultation Nineteen pour les jeunes adultes, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.

*Accueil de première ligne pour adolescents et jeunes adultes en souffrance psychique, voir www.ghu-paris.fr/fr/annuaire-des-structures-medicales/nineteen