William, Tao, Roy et les autres

N° 267 - Avril 2022
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à 20 ans, William présente des symptômes qui évoquent un trouble dissociatif de l’identité. Très angoissé, il relate un quotidien marqué par la peur de perdre le contrôle…

« Moi c’est William, on est 7 au total. Je suis la personnalité dominante, qui prend les décisions pour l’ensemble. Il y a aussi Ismaël, qui est fêtard et a des difficultés d’attention, Tao, qui est plus féminin, joyeux et tolérant, Roy, plus à l’aise dans les relations sociales, Lou qui peint et dessine et deux enfants, Mattéo et Jean, apparus récemment. »

J’accueille pour un premier entretien Andréa (pour l’État civil), 20 ans, qui a entamé un parcours de transition (1) et me demande de l’appeler William. Sa voix haute et claire jure avec sa demande d’être genré au masculin. Amusé, il souligne qu’on l’appelle parfois « Madame Monsieur »…

William porte des vêtements de sport plutôt larges, des cheveux très courts, et s’exprime posément. Il m’explique avoir besoin d’aide pour gérer ses angoisses, ses problèmes relationnels et ses troubles de mémoire en rapport avec son trouble dissociatif de l’identité (TDI) (2). William a en effet pris conscience d’être « multiple » lors d’une séance d’hypnose. Je l’écoute avec attention car je n’ai jamais rencontré ce trouble et lui demande naïvement de m’indiquer comment il se manifeste chez lui.

Conflits intérieurs…

William m’explique qu’il a appris à connaître les différentes personnalités qui l’habitent à travers les récits de ses amis. Chaque identité a conscience de l’existence des autres, même si William reste un peu le chef d’orchestre de l’ensemble. Deux identités peuvent coexister en même temps et certaines tenir des conversations ensemble. William s’est accommodé de cet état « On a l’habitude d’être plusieurs, on n’arrive pas à se dire qu’on pourrait être une seule personne ». Il souffre néanmoins de troubles de mémoire handicapants. « Si on fait une sieste et qu’on se réveille sous une autre personnalité en plein cauchemar, on peut l’intégrer dans nos souvenirs comme éléments de réalité », « On a peur que William disparaisse et ne se réveille que 3 ou 4 jours plus tard en oubliant tout ce qui s’est passé », « Si un conflit éclate quelque part, on oublie la dispute mais on ressent une forte angoisse en retournant dans cet endroit sans savoir pourquoi »… William vit seul dans un studio et a établi des règles strictes pour que le système fonctionne. Par exemple, il n’invite jamais quelqu’un chez lui, car s’il y a un switch d’identité, la personnalité nouvelle pourrait être en difficulté avec un ami qui n’est pas le sien (ce qui serait moins gênant à l’extérieur). Il tient un calendrier où il note tout pour que toutes ses personnalités puissent s’y référer.

Actuellement, William a du mal à rester seul chez lui. Il m’évoque une rupture amoureuse avec la petite amie de Roy, rupture qui a affecté toutes les autres personnalités. Il se sent triste, a du mal à dormir, ne supporte pas la solitude et s’entoure d’amis en transition qui fréquentent les mêmes associations que lui.

Après quelques passages aux urgences pour des crises d’angoisse, William a donc sollicité ces entretiens infirmiers réguliers. Il a besoin d’évoquer ses difficultés du quotidien. Par exemple, il a peur de croiser à la fac l’ex-petite amie de Roy avec qui ça s’est mal terminé… Ses conflits intérieurs provoquent chez lui une anxiété massive.

Après une période de grand stress et de fatigue, William va passer quelques jours de vacances dans sa famille en Bretagne. Il aime retourner chez ses parents, même s’il ne peut pas parler avec eux de sa transition et de ses personnalités multiples. Il se sent en sécurité là-bas. Le fait d’être « un peu coupé du monde » le rassure.

William commence ses injections d’hormones et espère pouvoir montrer aux autres un corps plus masculin et une voix plus grave. Il attend avec impatience d’avoir un rendez-vous chirurgical pour bénéficier d’une mastectomie, qui lui permettra d’ôter définitivement son binder (sous vêtement compressif) qui l’empêche parfois de respirer. « Ce sera une délivrance ! » lâche William avec un grand sourire. 

Cette prise en charge nous questionne beaucoup. Concernant le diagnostic, notons que le psychiatre de l’équipe penche plutôt pour un trouble de la personnalité, avec rationalisation des difficultés sous forme de TDI. Tandis que William est en attente d’un suivi psychologique au CMP, nous avançons à petits pas, avec prudence et bienveillance…

Virginie De Meulder
Infirmière, Consultation Nineteen pour les jeunes adultes, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.

1– D’après l’Association commune trans et homo pour l’égalité (Acthe), « la transition est un ensemble de démarches qu’il est possible de faire pour modifier soit son genre social, soit son apparence physique, soit son état civil, ou bien une combinaison de ces éléments, voire tous ces éléments ».
2– Autrefois appelé « trouble de la personnalité multiple », le TDI est défini dans le DSM-5 par la présence d’au moins deux états de personnalités distincts et d’importants trous de mémoire au quotidien, provoquant une détresse significative altérant le fonctionnement social.