Pourquoi de nombreux étudiants en soins infirmiers abandonnent-ils si vite leur cursus de formation ? Un rapport de la commission d’enquête du Sénat et une enquête du CEFIEC interrogent les conditions d’admission en institut de formation en soins infirmiers mais aussi la qualité de la formation et propose des voies d’amélioration.
Comme le rappelle le récent rapport rédigé par la Commission d’Enquête Sénat et intitulé « Hôpital : sortir des urgences », le Gouvernement a décidé d’augmenter de 15 % en deux ans le nombre de places ouvertes en première année pour la préparation des diplômes d’État d’infirmiers dans les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), soit 5 000 étudiants de première année supplémentaires entre la rentrée 2020 et la rentrée 2022, avec des effets en sortie d’école échelonnés entre 2024 et 2025. Cependant, la commission d’enquête a été alertée « sur l’évolution particulièrement préoccupante des conditions de formation des infirmiers, tant en ce qui concerne la pertinence de la sélection que l’adéquation aux exigences attendues pour l’exercice du métier. »
« Malgré un record de candidatures, les études d’infirmiers font face à un nombre d’abandons sans précédent, aggravant la pénurie de soignants. Ainsi, les 365 instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) ont reçu plus de 689 000 dossiers de candidatures sur la plateforme d’orientation post-bac en 2021, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. Il y a seulement quatre ans, les instituts recensaient 180 000 candidatures ».
« Procéder rapidement à une évaluation des conditions de formation des infirmiers » pour le Sénat
Pour rappel, depuis 2019, l’accès aux IFSI s’effectue après le baccalauréat par une sélection de dossier passant par Parcoursup. La commission du Sénat le souligne, « en dépit d’une demande particulièrement forte – 687 000 en 2021 – témoignant de l’attrait de la profession dans les représentations des futurs étudiants, le taux d’abandon en cours d’études paraît particulièrement important, bien qu’il ne soit pas précisément établi faute d’un réel suivi régional et national« . Une question se pose donc : « cette situation pourrait révéler l’inadaptation de la sélection par l’algorithme Parcoursup, puisqu’à partir d’une demande surabondante elle dirige vers les IFSI trop de profils paraissant insuffisamment motivés ou préparés à la réalité de la formation. De ce point de vue, l’entrée sur concours accompagnée d’un entretien de motivation au moment des épreuves d’admission, en vigueur jusqu’en 2018, paraissait donner de meilleurs résultats« .
Autre explication de ces abandons de formation : les conditions de déroulement des stages, souvent dégradées, voire « maltraitantes selon certains témoignages recueillis, en raison de la surcharge des personnels infirmiers en poste. » La recommandation de la commission d’enquête du Sénat est claire : « procéder rapidement à une évaluation des conditions de formation des infirmiers, notamment des modalités de sélection des étudiants en début d’études et de l’adéquation des maquettes de formation aux exigences des métiers« .
« Deux mois après la rentrée 2021, près de 13 % des étudiants ont lâché leur formation, selon les chiffres de 165 Ifsi transmis au Comité des instituts de formation du paramédical (Cefiec). »
Des abandons multifactoriels pour le CEFIEC
Une enquête menée par le Comité d’Entente des Formations Infirmières et Cadres (CEFIEC), dont les résultats ont été publiés fin mars 2022*, met également en lumière certaines des problématiques auxquelles les IFSI sont confrontés ainsi que les étudiants (ESI) qui démarrent leur formation. « La parution récente des données chiffrées issues de Parcoursup nous permet de confirmer que la formation infirmière est le dispositif de formation choisi majoritairement par les candidats mais aussi la formation admettant largement le plus d’étudiants » souligne le Cefiec. Et d’ajouter que « dans le contexte du Ségur, il a été demandé une augmentation de 6000 places d’étudiants infirmiers en formation. En additionnant le nombre de places pourvues supplémentaires, nous obtenons un cumul de 2363 étudiants en formation en plus pour la rentrée 2021 pour les 1ères années. Ceci correspond à 39.38% du nombre de places augmentées suite au Ségur de la santé« .
La confrontation avec la réalité de l’hôpital, découverte pendant les stages est-elle un facteur de désillusion pour les étudiants ? L’enquête du Cefiec évoque plutôt des « erreurs d’orientation » concernant les étudiants issus de la filière Parcoursup . « Nous pouvons supposer qu’un certain nombre de ces départs des étudiants soit à corréler avec une nouvelle proposition d’orientation en début de formation et nous pouvons émettre l’hypothèse d’une erreur d’orientation » mais aussi des « motifs personnels » plaidés par les étudiants sur le départ.

Les étudiants provenant de la filière FPC (formation professionnelle continue) sont moins exposés à l’abandon de leur cursus. Selon le Cefiec, « ils ont certainement davantage réfléchi leur projet, certains ayant déjà développé une expérience professionnelle dans le milieu du soin. Aussi, cette question interroge les objectifs particuliers de chaque étudiant dans son projet de formation. Chaque étudiant arrivant en formation avec des caractéristiques propres (contexte familial, caractéristiques personnelles, expériences scolaires) ou professionnelles antérieures. A cela s’ajoute le degré de maturité du projet de formation et leur représentation du métier du soin« .

« L’identification de l’étudiant « à risque » est certainement une priorité à inscrire dans les compétences des cadres formateurs. La sensibilisation des formateurs aux signes avant-coureurs permet l’identification de l’étudiant en difficulté et d’éventuellement intervenir avant le décrochage notamment par l’observation… »

Au vu de ces résultats, le Cefiec souligne l’importance de l’accompagnement des lycéens candidatant par la voie de Parcoursup et le nombre croissant d’erreurs d’orientation :
– Ne faut-il pas établir de réel partenariat avec les professeurs pour faciliter l’orientation et éviter les interruptions de formation ? ;
– Ne faut-il pas libérer du temps scolaire pour permettre aux candidats de faire des journées d’immersion en IFSI ou IFAS ?
– Ne faut-il pas orienter les jeunes avec un bac ASSP/SAPT vers une formation aide-soignante plutôt qu’infirmier ?
– Ne faut-il pas former les CPE et les professeurs principaux à la poursuite d’études vers la formation IDE ?
– Ne faut-il pas renforcer le dispositif des cordées de la réussite ?
Face à ces questions, le gouvernement a annoncé récemment une série de mesures pour diversifier les profils d’étudiants dans le paramédical, à grand renfort de campagne de communication. Et à la rentrée prochaine, 10 000 contrats d’apprentissage seront ouverts aux paramédicaux… De son côté, la Fédération nationale des étudiant(e)s en soins infirmiers (Fnesi) a lancé une enquête dont l’objectif est d’évaluer la condition physique et mentale des ESI durant leur formation. Les résultats attendus pourraient éclairer également ces interruptions précoces de formation…
*Méthodologie d’enquête : Outils : Questionnaire en ligne ; Diffusion : mail aux adhérents CEFIEC ; Période : 5 décembre 2021 – 4 janvier 2022 ; Dépouillement : du 20 janvier 2022 au 10 février 2022.
• Enquête Cefiec : Recueil de données : Profil des étudiants en soins infirmiers dans les instituts et leur employabilité. Enquête réalisée par le Bureau National du CEFIEC. Analyse rédigée par Michèle Appelshaeuse, Présidente.