Pour les personnes souffrant de schizophrénie, les pratiques soignantes représentent une source importante de stigmatisation. Soutenue en décembre 2021, la thèse de psychologie de K.-M. Valéry a exploré le potentiel stigmatisant de ces pratiques en santé mentale et posé les base du programme StigmaPro, une intervention destinée à les améliorer.
Résumé. Infantilisation, manque de coopération au parcours de soin, pessimisme concernant le rétablissement ou encore pratiques violentes : les pratiques en santé mentale sont identifiées comme une source importante de stigmatisation selon les personnes qui ont un diagnostic de schizophrénie et leurs familles. Si la recherche internationale s’intéresse depuis plus de 20 ans à cette question, aucune recherche en France n’était venue interroger le potentiel stigmatisant des pratiques des professionnels de santé mentale. C’est pour répondre au besoin d’amélioration des pratiques que s’est construit le programme de recherche StigmaPro, dans le cadre d’un travail doctoral.
L’objectif de StigmaPro est de créer une intervention visant à réduire la stigmatisation de la schizophrénie dans les pratiques en santé mentale. Pour atteindre ce but, une première étape de recherche fondamentale s’est centrée sur l’examen approfondi de cette stigmatisation. De multiples enquêtes ont eu pour but de décrire précisément la stigmatisation dans les pratiques professionnelles et les facteurs associés :
– tout d’abord, une enquête auprès des usagers et des familles d’usagers ayant un diagnostic de schizophrénie a recensé 15 situations concrètes de stigmatisation dans les soins de santé mentale. Ces situations devenaient des cibles pour les interventions anti-stigma.
– Ensuite, le point de vue des professionnels de santé mentale a également été investigué. Une revue systématique de la littérature internationale a d’abord permis de résumer les spécificités de la stigmatisation de la schizophrénie chez les professionnels et les facteurs associés. Ces facteurs associés ont ensuite fait l’objet de deux enquêtes chez les soignants français, l’objectif étant de mettre en évidence les variables associées à moins de stigmatisation et donc les plus pertinentes pour une intervention souhaitant réduire cette stigmatisation dans les pratiques de santé mentale.
– Enfin, une étude contrôlée randomisée a été conduite, avec l’objectif de tester l’efficacité de certaines de ces variables pour réduire les stéréotypes, préjugés et discriminations de la schizophrénie. Ainsi, les variables les plus pertinentes, révélées par cette étape de recherche fondamentale, ont été importée dans l’intervention StigmaPro : sentiment d’utilité professionnelle, pratiques orientées rétablissement, similitudes perçues ou encore approche du continuum. Ce travail doctoral présente les bases de cette intervention.

• Thèse de psychologie Réduction de la stigmatisation de la schizophrénie dans les pratiques en santé mentale, K.-M. Valéry, Sous la direction du Professeure Antoinette Prouteau, 2021, Université de Bordeaux. Contact : kevin-marc.valery@u-bordeaux.fr
Luc Vigneault, pair-aidant pendant de nombreuses années, patient-partenaire de recherche au Québec, conférencier, était membre du Jury et a assisté à la soutenance de cette thèse.

Santé mentale : Vous êtes un pionnier de la pair-aidance et à ce titre, vous avez participé au jury de thèse du Dr. Kévin-Marc Valery « Réduction de la stigmatisation de la schizophrénie dans les pratiques en santé mentale ». Comment s’est passée cette expérience ?
Luc Vigneault : J’étais tout d’abord honoré et enchanté que le Dr. Valery me demande de faire partie de son jury de thèse. C’est une première internationale et cela me rend très heureux. Néanmoins, cela n’a pas été facile. Je dois admettre que parler de stigmatisation dans les pratiques en santé mentale réveille les traumatismes vécus lors de mes propres hospitalisations. J’ai vécu et je vis encore de la stigmatisation. On parle souvent des chiffres et des statistiques mais, chez moi, la stigmatisation et l’ostracisme, ce sont des choses de réelles. Donc ce n’était pas facile de revenir dessus. Cependant, je suis content que mon vécu ait sa place dans les débats scientifiques.
• Quelle est la place du savoir expérientiel des patients dans l’enseignement universitaire en santé mentale et les programmes de recherche ?
– Au Canada, une place importante est accordée aux patients partenaires, que ce soit dans la recherche ou dans l’enseignement. Par exemple, à l’Université Laval, au Québec, je fais partie d’un projet pilote qui enseigne aux futurs médecins l’art d’échanger avec les patients. Ces enseignements sont dispensés sous forme d’atelier, par un enseignant et deux patients partenaires. Les résultats ont été très concluants et l’université a décidé de rendre ces ateliers permanents. Également, les patients-partenaires s’investissent dans les recherches : le savoir expérientiel et le savoir scientifique, amalgamés ensemble, amènent une force extraordinaire. Au Canada, les financeurs de projets de recherche, ont l’obligation d’avoir des patients partenaires. Cela a permis de développer considérablement les collaborations. Je souhaite que la France s’inspire de cela.
• Quels grands enseignements de cette thèse retenez-vous ?
– Ce qui me vient spontanément à l’esprit, c’est l’espoir du changement. En dépit de toute la peine que la stigmatisation m’évoque, les travaux du Dr. Valery donnent de l’espoir quant à l’amélioration des pratiques en santé mentale. Vous savez, quand on a vécu la stigmatisation comme moi, on peut être tenté d’être brusque envers les soignants. On a tendance à vouloir oppresser le monde comme il nous a oppressé. Mais c’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Cette thèse nous enseigne une prudence, une pédagogie, qui permet de faire passer les messages anti-stigma efficacement, sans heurter les soignants.
• Un prochain livre ?
– Avec le Pr. Tania Lecomte, nous avons un projet de livre sur la stigmatisation. Il s’écrit en collégialité avec des partenaires Français, Québécois et Américains. L’objectif de ce livre, c’est de rapporter les faits sur la stigmatisation, mais surtout les solutions, un peu à l’image de la thèse du Dr. Valery : voici les faits, voici les solutions proposées. Ce livre réunit tout types d’acteurs autour de la stigmatisation : chercheurs, soignants, usagers, familles, journalistes…