Le Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) documente dans un rapport thématique intitulé « L’arrivée dans les lieux de privation de liberté » ce moment charnière et formule des recommandations (56) afin de garantir un accueil, une prise en charge et une orientation respectant les droits fondamentaux des personnes concernées, et permettre de limiter les dangers dont est porteur le passage de la liberté à l’enfermement.
L’arrivée dans les lieux de privation de liberté constitue une rupture brutale pour les personnes enfermées, porteuse de risques et créant des situations de vulnérabilité. Le « choc de l’enfermement » concerne l’ensemble des lieux soumis au regard du Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) : prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative (CRA), centres éducatifs fermés (CEF) mais aussi lieux de séjours de courte durée – locaux de garde à vue ou de rétention, geôles et dépôts des tribunaux, urgences psychiatriques – qui constituent, souvent, le point de passage préalable de « l’arrivant ».
Perte d’autonomie et d’intimité, réduction de l’espace, séjour dans des locaux possiblement vétustes ou délabrés, dépossession des effets personnels, rupture des liens avec les proches, incertitudes sur la durée et l’issue de l’enfermement, suroccupation, manque d’informations… sont autant de facteurs du « choc de l’enfermement », générant de la peur, du stress, de l’agressivité et parfois des violences.
Le CGLPL a documenté ce moment charnière et formule des recommandations dans un rapport paru aux Éditions Dalloz ce 8 décembre 2021 afin de garantir un accueil, une prise en charge et une orientation respectant les droits fondamentaux des personnes concernées, et permettre de limiter les dangers dont est porteur le passage de la liberté à l’enfermement.
Recommandations concernant la filière psychiatrique
Concernant les urgences hospitalières et leur organisation, il est rappelé que l’admission en soins sans consentement dans un établissement de santé mentale passe majoritairement par les services d’urgence des hôpitaux généraux. Confrontés à un flux d’autant plus difficile à absorber que la présence psychiatrique se clairsème, ces services sont conduits à privilégier la rapidité du « transit » sur le respect de la dignité et des droits des patients. La demande d’admission en soins sans consentement est trop souvent vue comme la solution la plus efficace pour hospitaliser un patient agité dont la gestion par un service d’urgence n’est pas adaptée. Or, si les moyens matériels et humains avaient été pris afin de gérer la crise, ces personnes auraient pu consentir à une admission en soins libres ou à des soins en ambulatoire.
Recommandation – La filière des urgences psychiatriques doit permettre une prise en charge en hospitalisation spécialisée de courte durée, de 48 à 72 heures, en coordination avec les urgences générales et leur plateau technique, où les patients doivent pouvoir bénéficier d’un examen somatique complet.
Outre le développement des possibilités de prise en charge de patients en crise, hors l’hôpital, le CGLPL recommande de substituer une offre de soins à l’actuel objectif d’orientation. Afin que les patients ne soient pas seulement évalués et orientés, la présence de psychiatres et d’infirmiers doit être assurée pour établir un lien thérapeutique avec le patient, dans des locaux adaptés permettant de ne pas, systématiquement, passer par une hospitalisation dans un établissement spécialisé.
Une autre préoccupation majeure, liée au passage préalable par les urgences générales, concerne les pratiques d’isolement et de contention. Il arrive que des patients restent trop longtemps aux urgences où, par précaution ou à défaut d’équipement adapté, ils sont placés sous contention. Des mesures parfois décidées par des urgentistes et sans validation ultérieure d’un psychiatre. D’autre part, l’isolement et la contention ne sont, dans la majorité des services d’urgence, pas tracés. Enfin, ces mesures sont souvent mises en oeuvre dans des locaux non adaptés à des patients en crise et pour des durées ne se limitant pas à cette crise.
Recommandation – Toute décision d’isolement ou de contention doit être validée par un psychiatre dans le délai d’une heure, après une rencontre avec le patient. Elle doit être tracée dans le dossier médical et sur un registre spécifique.
Les rapporteurs insistent également sur l’importance de l’heure d’arrivée dans un lieu d’enfermement. En effet, les étapes du « parcours » préalable à l’entrée dans les lieux d’enfermement expliquent en grande partie l’état de fragilité des personnes lors de leur arrivée. Elles ont également une conséquence plus mécanique : parce que ces étapes sont longues – en particulier le défèrement au tribunal après une garde à vue ou l’attente aux urgences générales –, l’arrivée en maison d’arrêt ou en établissement de santé mentale s’effectue souvent en fin de journée, voire la nuit. Or une arrivée de nuit – comme au demeurant lors d’un week-end – n’est pas similaire à une arrivée de jour. Elle est beaucoup plus susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes. En établissement de santé mentale, le CGLPL observe souvent des mesures de privation de liberté plus importantes voire systématiques (mise en pyjama, restriction d’accès au téléphone, impossibilité de fumer) lors d’une admission nocturne. De même en prison, où le personnel de nuit doit assurer écrou, fouille et inventaire des biens, information de la personne et de ses proches, restauration, installation en détention, etc… alors que ces missions sont réparties en journée entre divers services. Autant de procédures en partie bâclées ou, tout simplement, reportées au lendemain ; derrière elles, autant de droits négligés ou mis entre parenthèses.
Recommandation – Tout professionnel, y compris de santé, amené à participer à l’accueil et à la prise en charge de personnes privées de liberté doit recevoir une formation sur le statut et les droits de ces personnes.
Concernant le « contrôle du titre d’enfermement », la vérification de l’identité de la personne et du document fondant l’admission constitue, dans l’ensemble des lieux de privation de liberté, la première étape suivant l’arrivée, laquelle est généralement effectuée avec beaucoup de vigilance, y compris la nuit. La situation diffère toutefois en établissement de santé mentale, où le CGLPL constate régulièrement, s’agissant des hospitalisations sur demande du directeur de l’établissement, des décisions signées le lendemain seulement de l’admission effective, voire plus tard encore lorsque l’admission a lieu un week-end.
Recommandation – Les décisions d’admission en soins sans consentement doivent être signées dès le début de l’hospitalisation, y compris les week-ends et jours fériés. La date de leur signature doit correspondre à la réalité.
Autre constatation des rapporteurs, l’orientation des personnes, souvent mise à mal par la suroccupation… En effet, la suroccupation chronique des maisons d’arrêt et de nombre d’établissements de santé mentale réduit considérablement les marges de manoeuvre de l’administration et l’affectation des personnes est encore loin de relever d’une gestion individualisée. En prison, la surpopulation empêche bien souvent d’assurer la compatibilité des profils des personnes amenées à cohabiter et de respecter les séparations prescrites par la loi. A l’hôpital, l’affectation en chambre ou en unité vise souvent moins à répondre aux besoins du patient qu’à des contraintes d’organisation et de places disponibles. Cette gestion de flux entrainant des changements fréquents de chambre et de service, voire l’hébergement en chambre d’isolement des patients nouvellement admis.
• CGLPL – Rapport thématique « L’arrivée dans les lieux de privation de liberté », Dossier de presse. Sorti en librairie le 8 décembre aux éditions Dalloz, le rapport sera disponible en intégralité sur le site Internet de la CGLPL à partir du 19 janvier 2022.