L'Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) propose dans sa rubrique "Les interview de l'IFAC" l' Interview de Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon à propos de la contribution de la neuroimagerie à l'étude des addictions.
1- Vous étudiez depuis plusieurs années, la prise de décision risquée en particulier dans la dépendance au jeu. Vous utilisez des techniques de neuroimagerie. Pouvez-vous nous faire part des travaux que vous avez menés et dece qu’ils vous ont permis de découvrir.
En tant que neuroscientifique, j’essaie de comprendre la part jouée par le cerveau dans les problèmes d’addiction. En d’autres termes, mon travail part de l’hypothèse que l’addiction est caractérisée par des dysfonctionnements cérébraux qui peuvent causer ou maintenir des comportements pathologiques. Je me suis beaucoup intéressé au « système de récompense », qui est un ensemble de régions cérébrales spécialisées dans le traitement des stimuli qui nous procurent du plaisir, comme l’argent ou le sexe. Au coeur de ce système, il existe une région appelée « striatum ventral », qui est activée par un grand nombre de récompenses. Or nous avons montré un déséquilibre de réponse chez des personnes qui souffrent d’addiction aux jeux d’argent. En effet, leur striatum ventral répond plus fortement à des stimuli qui prédisent de l’argent par rapport à ceux qui prédisent d’autres récompenses comme des images érotiques. Ce déséquilibre de
réponse était corrélé à la sévérité des symptômes des jeu, et nous pensons qu’il pourrait jouer un rôle dans la motivation particulièrement forte exercée par les récompenses monétaires.
Dans une autre étude, nous avons montré que cette même région, le striatum ventral, était aussi activée par des évènements de type « near-miss », qui surviennent lorsque l’on est très proche de gagner, par exemple lorsque le dernier rouleau d’une machine à sous s’arrête à une position de la position gagnante. Ce résultat parait paradoxal, car un « near-miss » correspond objectivement à une perte, mais semble être interprété par le cerveau comme une récompense, qui nous encourage alors à rejouer. Et chez des personnes souffrant d’addiction aux jeux d’argent, nous avons montré que cette réponse aux « near-miss » était exacerbée.. Ce résultat pourrait peut-être expliquer pourquoi la sensation de « near-miss » est si efficace pour pousser les joueurs à rejouer sans fin.
2- Que peuvent apporter vos travaux de recherche aux médecins qui soignent les addictions ?
C’est une bonne question. La transposition des résultats de neuroimagerie dans le champ clinique n’est pas évidente, et la neuroimagerie est de plus en plus critiquée car elle n’a pas réellement tenu ses promesses en termes de débouchés, thérapeutiques. Mais je pense que nos travaux peuvent apporter des pistes pour concevoir ou personnaliser de nouveaux traitements. Prenons un exemple. Dans l’une de nos dernières études, nous avons utilisé la neuroimagerie pour mesurer la production de dopamine, qui est un neuromodulateur jouant un rôle très important dans la motivation. Nos résultats ont montré une surproduction de dopamine dans le striatum ventral des personnes qui souffrent d’addiction aux jeux d’argent. Ce résultat pourrait en partie expliquer l’hyper-réactivité du système de récompense des joueurs vis-à-vis des récompenses monétaires. Partant de ce constat, il paraitrait intéressant de tester si des molécules permettant de bloquer la transmission dopaminergique ont une efficacité pour réduire les symptômes d’addiction aux jeux d’argent. En l’occurrence, quelques études ayant testé cette
hypothèse ont montré des résultats négatifs. Cependant, ces études ont négligé certains facteurs très importants comme le profil des joueurs. Il existe une grandevariété de profils, et il est probable que seulement certains profils pourraient bénéficier de molécules bloquant la transmission dopaminergique. C’est une hypothèse que j’espère bien tester dans mes futures études…
3- Est-ce que vos futurs travaux concerneront les addictions ou bien vous intéressez-vous à d’autres thématiques ?
Tout à fait, car c’est un domaine qui me fascine, et il reste encore beaucoup à faire. Et j’ai aussi à coeur de montrer que la neuroimagerie peut aider à améliorer la prise en charge des patients. Mais je m’intéresse par ailleurs à d’autres thématiques. D’un point de vue fondamental, je cherche à comprendre comment le cortex préfrontal régule le système de récompense, afin de tempérer nos comportements impulsifs. D’un point de vue clinique, je m’intéresse aussi à d’autres pathologies psychiatriques comme l’anorexie mentale, qui partagent certaines ressemblances avec l’addiction.