Le CGLPL dénonce des « confusions » entre isolement et confinement sanitaire

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Suite à un constat de « violations graves » du droits des patients, résultant notamment d'« une confusion absolue » entre les notions de « confinement sanitaire » et « isolement », le CGLPL publie au Journal officiel du 19 juin des « recommandations en urgence  » à l’établissement public de santé mentale (EPSM) Roger-Prévot à Moisselles (Val d'Oise).

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), accompagnée de trois contrôleurs, a effectué une visite le 18 mai 2020 à l'EPSM Roger-Prévot. Des violations graves des droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans cet établissement, résultant d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du Covid-19. Bien que des mesures aient été prises localement à la suite de cette visite pour corriger les pratiques relevées, des informations reçues par ailleurs font craindre au CGLPL qu’une semblable confusion ne touche d‘autres établissements de santé mentale. L’ensemble de ces raisons ont conduit la Contrôleure générale à mettre en œuvre une procédure d’urgence. Ses recommandations présentent un compte-rendu de la visite et les recommandations, auxquels tous les services de santé mentale doivent être attentifs.

Prenant en charge les patients de cinq secteurs de psychiatrie adultes des Hauts-de-Seine, l’établissement, situé dans le Val-d’Oise, est éloigné du domicile des patients comme des structures extrahospitalières. Il compte huit unités d’hospitalisation à temps complet (dont une située à Nanterre) pour 174 lits. Les contrôleurs ont visité :
– l’unité d’hospitalisation complète « Clichy 2 », transformée en unité pour patients atteints de Covid-19 (cinq lits), et en unité « entrants » (dix lits et une chambre d’isolement) ;
– l’unité « entrants » (dix lits et une chambre d’isolement), ouverte le 10 mai ;
– l’unité d’hospitalisation « Levallois-1 » du pôle « G04 Levallois-Perret ».

Les contrôleurs se sont entretenus avec plusieurs patients hospitalisés ainsi qu’avec des médecins et infirmiers de ces unités.
Les unités « entrants » accueillent tous les patients entrant dans l’établissement pour une période d’observation de 72 heures au maximum. L’unité « Covid », accueille ceux qui sont atteints de Covid-19. Ces unités sont placées sous la responsabilité d’un médecin somaticien et non d’un psychiatre.
Dans les jours précédant cette visite, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait été informée d’atteintes aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans l’établissement.  
Le jeudi 7 mai 2020, deux patients de l’unité d’hospitalisation du pôle « G02 Asnières-sur-Seine », testés positif au Covid-19, ont été transférés dans l’unité « Covid ». Dans la soirée, le psychiatre de garde et la direction de l’établissement ont décidé, sans tracer par écrit cette initiative, de confiner, porte fermée à clé, tous les autres patients de l’unité « Asnières-sur-Seine », y compris ceux admis en soins libres et ceux hébergés dans des chambres doubles. Le lendemain, un autre psychiatre de garde a fait réouvrir l’ensemble des chambres après avoir expliqué à chaque patient la nécessité, pour raison sanitaire, de rester confiné dans sa chambre.  
Le mercredi 13 mai, le CGLPL a été informé que toutes les chambres des unités « entrants » et « Covid » de l’établissement étaient fermées à clé et qu’une patiente, hébergée dans une unité « entrants », au deuxième étage, avait été gravement blessée et admise aux urgences somatiques après être sortie par la fenêtre de sa chambre qu’elle avait brisée. Le CGLPL ignore si cette patiente souhaitait se donner la mort par défenestration ou si, plus probablement, elle ne désirait que recouvrer sa liberté de mouvements.
Au moment de la visite, dix-huit patients étaient hospitalisés dans les unités « entrants » et « Covid », dont six admis en soins libres. Les contrôleurs ont constaté que toutes les chambres de ces unités étaient fermées à clé.
Ces événements et constats révèlent une confusion absolue entre les notions de « confinement sanitaire » et d’« isolement psychiatrique ». Des patients ont été enfermés à clé 24 h sur 24 sans que leur état clinique psychiatrique le justifie, sans décision médicale écrite émanant d’un psychiatre ni traçabilité et, au surplus, dans des espaces dangereux car non aménagés à cet effet. Ces patients ont été enfermés sur décision du médecin généraliste, prise sur le fondement de la circulaire Minsante99 du 9 mai 2020. Pourtant, le confinement strict en chambre fermée à clé n’est pas mentionné dans cette circulaire, mais les praticiens l’ont décidé en lui donnant un caractère systématique, prétendant que les patients de psychiatrie ne seraient pas à même de comprendre et de respecter les gestes barrière.
Ces privations de liberté injustifiées et illégales ont été mises en œuvre dans des conditions indignes. 

Les chambres ne reçoivent la lumière naturelle que par une baie vitrée non ouvrable et une étroite imposte verticale (20 cm) ouvrable qui permet un faible renouvellement d’air. Elles ne sont équipées ni de poste de télévision, ni, sauf exception, de radio, ni d’horloge. Celles de l’une des unités « entrants » n’ont pas de bouton d’appel et dans l’autre unité « entrants » et l’unité « Covid », plusieurs de ces boutons ne fonctionnent pas.  
Lors de la visite, les patients ne disposaient pas de leurs effets personnels, ils étaient habillés d’un pyjama en tissu déchirable et les sous-vêtements avaient été retirés à certains d’entre eux. Les chambres n’étaient pas équipées de douche, du matériel de toilette était mis à disposition sans nécessaire de rasage pour les hommes. La toilette au lavabo était préconisée car l’accès à la douche extérieure mobilisait trop de personnel.  
La plupart des patients disposaient de leur téléphone portable, car il n’est retiré qu’en cas d’usage pathologique. Les patients fumeurs étaient autorisés à fumer dans leur chambre. Dans l’une des unités « entrants », les chaises avaient été retirées des chambres après qu’un patient se soit servi de la sienne pour tenter de briser une vitre : une chaise était apportée à chaque patient pour le repas puis reprise.  
La notification de la mesure et l’information des patients en soins sans consentement sur leur statut et leurs droits n’étaient pas assurées pendant leur séjour dans ces unités.  
Par ailleurs, le pôle « G04 Levallois-Perret » avait instauré une contrainte de confinement supplémentaire : les patients accueillis au terme de leur séjour en unité « entrants » étaient soumis à une obligation de confinement strict en chambre pendant quatorze jours supplémentaires, parfois porte fermée à clé « s’ils ne se plient pas à cette mesure ». Depuis le début de la pandémie, plusieurs patients ont ainsi été enfermés à clé dans leur chambre. Il a été affirmé aux contrôleurs que ces décisions étaient prises par des psychiatres du pôle ou par ceux du secteur d’origine du patient en cas d’hébergement hors secteur ; néanmoins, aucune décision n’a été trouvée dans les dossiers.  
Lors de la visite, deux patients étaient enfermés à clé dans leur chambre au sein de l’unité « Levallois-1 » de ce pôle : 
– l’un venait d’intégrer l’unité et avait été enfermé avant-même qu’une décision médicale n’ait été prise ;
– l’autre était enfermé depuis six jours dans l’unité, après trois jours d’enfermement en unité « entrants ». Aucune décision médicale d’isolement ne figurait dans son dossier et aucune consigne médicale ne faisait référence à une décision de porte fermée. Par ailleurs, aucun élément ne faisait état d’une éventuelle absence de respect des mesures de confinement en chambre susceptible de « justifier » la fermeture de sa chambre à clé.

A la suite de ces constats, la Contrôleure générale a rappelé à la direction comme aux praticiens rencontrés que les pratiques d’enfermement sont illégales :
– en l’absence de décision prise par un psychiatre sur des considérations cliniques relatives seulement à l’état de santé mentale du patient, lorsqu’elles concernent des patients en soins sans consentement ;
– en toute hypothèse, pour des personnes admises en soins libres.

Elle a souligné que la mauvaise compréhension prétendue des gestes barrière par les patients ne pouvait justifier un enfermement systématique, cette mauvaise compréhension n’étant du reste pas démontrée, et en tous cas, loin d'être générale (…)

Si la situation constatée le 18 mai à l’hôpital Roger-Prévot semble avoir cessé à la suite de l’intervention du CGLPL, il demeure indispensable que des directives soient adressées à l’ensemble des services de santé mentale afin de lever toute ambiguïté relative à l’interprétation de la notion de mesure de confinement sanitaire dans les unités d’hospitalisation. Il convient de rappeler la nature et le champ d’application des mesures de confinement et d’isolement psychiatrique et, en toute hypothèse, la proscription de l’enfermement de patients au titre du confinement sanitaire, quel que soit leur statut d’admission.

Recommandations du 25 mai 2020 du CGLPL prises en application de la procédure d'urgence relatives à l'EPSM Roger Prévot de Moisselles (Val-de-Marne), JO du 19 juin.