« Pour que la discipline infirmière émerge, il faut une réelle volonté ! »

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Entretien avec Philippe Delmas, infirmier, PhD, docteur en sciences infirmières de l’université de Montréal, MBA de l’Université Paris Dauphine. Il est actuellement Professeur-Chercheur ordinaire à l’Institut et Haute Ecole de la santé la Source (HES-SO), Suisse et responsable du laboratoire de recherche et d’enseignement « qualité des soins et sécurité des patients ». Il interviendra aux 6es Rencontres de la recherche en soins en psychiatrie les 23 et 24 janvier 2020 sur le thème "La recherche en soins : autonome ou sous tutelle ?".

Quel regard portez-vous sur le développement de la recherche en soins en France ?

Avant de parler recherche, il faut parler de la profession et de la discipline infirmière. En effet, la recherche ne peut se penser hors de son cadre d’exercice. Elle a une mission scientifique mais aussi sociale car elle doit répondre à des problématiques qui contribuent à améliorer la santé de la population.

Chaque discipline a un prisme de vue différent qui permet d’éclairer les problématiques mises à jour et lui donne sa valeur distinctive. Or, en France, l’éclosion de notre champ disciplinaire tarde et pose toujours question, si bien que nous puisons dans les autres disciplines concepts et méthodes rendant ainsi notre émancipation difficile. Pour que la discipline infirmière émerge, il faut une réelle volonté ! Dans la plupart des pays, ce sont souvent des infirmières ayant acquis un niveau universitaire élevé dans d’autres disciplines qui l’ont construit, à la suite de F. Nightingale en 1860. On  compte aujourd’hui ainsi aux USA plus de 200 universités qui proposent un doctorat en science infirmière. 

La construction d’une filière universitaire est essentielle pour bâtir une pensée critique et proposer des lignes de recherche dans les contours d’une discipline. Aujourd’hui, les équipes de recherche rassemblent des personnes issues de différentes disciplines afin de circonscrire au mieux la complexité des situations de soin. Par conséquent, disposer de départements en science infirmière, voire de facultés, dans toutes les régions est un préambule non négociable développer la discipline mais aussi asseoir la recherche. Aujourd’hui la compétition fait rage pour obtenir des fonds de recherche. La formation doctorale voire postdoctorale est donc nécessaire pour pouvoir compétiter.

Les soins en psychiatrie sont bien sûr concernés par ces enjeux. Dave Holmes (professeur titulaire en sciences infirmières – Université d’Ottawa) a dans ce domaine développé tout un champ de la théorie critique pour aborder les situations de soins. Ma réflexion ne se focalise pas sur la recherche en tant que démarche mais sur son encadrement et sa formation. Aujourd’hui, être chercheur est un choix de carrière qui nécessite de nombreuses compétences et il est illusoire de vouloir garder une activité clinique pérenne.  Par contre, le maillage entre les milieux cliniques et de recherches reste essentiel.