Vers un leadership politique des infirmières, ou comment changer les choses

FacebookXBlueskyLinkedInEmail

La revue "Perspective Infirmières "(nov-dec 2018) éditée par l'Ordre des Infirmières et Infirmiers du Québec  publie une synthèse et une adaptation de la conférence d’ouverture prononcée par Francine Ducharme (*) dans le cadre du 7e Congrès mondial du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF) tenu à Bordeaux, le 4 juin 2018, sous le thème « La profession infirmière engagée vers l’avenir : chercher, innover, soigner. »

"Dans le cadre de cette réflexion que nous voulons pertinente pour les infirmières provenant de différents horizons, le leadership politique est abordé dans son sens le plus large et inclusif, permettant d’envisager comment les infirmières peuvent favoriser le changement et améliorer les soins de santé d’ici et d’ailleurs. Bien que le terme « leadership », très en vogue actuellement, possède plusieurs définitions et soit parfois utilisé sans en considérer les attributs (Mannix, Wilkes et Daly, 2013), nous en proposons ici une définition qui fait appel à trois attributs principaux : 1) la capacité d’influencer autrui pour des fins que l’on juge importantes; 2) la capacité de modifier une situation et de produire des changements et; 3) le pouvoir de transformer. En somme, avoir du leadership consiste tout simplement à influencer, à modifier et à transformer. Dans ce contexte, les infirmières exercent-elles un leadership politique? Exercent-elles leur pouvoir afin de contribuer aux changements en vue d’améliorer la qualité des soins?

Nous répondons à ces questions par… non, et parfois oui. Voici quelques justifications à cette réponse paradoxale.

Pourquoi les infirmières n’exercent-elles pas toujours leur leadership politique?

Peu d’infirmières souhaitent s’engager dans l’action politique (Williams, Avolio, Ott et Miltner, 2016). Plusieurs éléments peuvent permettre d’expliquer ce « non » à l’exercice du pouvoir dont l’un, très important, concerne l’histoire de la profession infirmière et certaines de ses valeurs sous-jacentes traditionnelles. Pensons à la subordination à la profession médicale qui, même si elle est de moins en moins prégnante, persiste encore; pensons également au don de soi, à la vocation et, bien entendu, à l’humilité (Cohen, Pepin, Lamontagne et Duquette, 2002), des caractéristiques en porte-à-faux avec des visées d’autonomie et d’autodétermination, avec le désir d’être entendues et valorisées et avec l’essor
d’une pensée critique.

Une autre raison pour ce « non » à l’exercice du leadership politique est liée à l’arrivée récente de la recherche en tant que mode de développement des connaissances pour les infirmières. Il existe plusieurs façons de développer des savoirs. Pensons aux modèles de rôle et aux traditions, à l’intuition, à l’apprentissage par les pairs (Ducharme, 2001). Toutefois, la recherche, en tant que mode scientifique de développement des connaissances, a été reconnue tardivement dans la discipline, ayant comme conséquence un développement relativement nouveau des programmes d’études supérieures, notamment les programmes d’études doctorales qui ont amené les sciences infirmières à être considérées comme discipline professionnelle autonome. En effet, c’est la formation doctorale, visant à produire des chercheurs leaders, qui offre une contribution aux savoirs et aux résultats probants, résultats dont les infirmières ont besoin pour se positionner comme les autres professionnels dans leur champ d’exercice.

(*) FRANCINE DUCHARME, inf., Ph. D.
Doyenne de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, professeure titulaire et chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Elle a été chercheuse boursière et titulaire de la Chaire de recherche Desjardins en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille pendant quinze ans. Elle est membre de l’Académie canadienne des sciences de la santé