Avec toutes mes sympathies

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Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Moi, je ne voulais pas me taire.
Alex était un être flamboyant, il a eu une existence belle, pleine, passionnante, aimante et aimée. Il s’est battu contre la mélancolie, elle a gagné. Raconter son courage, dire le bonheur que j’ai eu de l’avoir comme frère, m’a semblé vital. Je ne voulais ni faire mon deuil ni céder à la désolation. Je désirais inventer une manière joyeuse d’être triste.
Les morts peuvent nous rendre plus libres, plus vivants.

Extrait : J’ai perdu mon frère. Cette expression me semble la plus juste pour parler de toi aujourd’hui. Où vont les morts ? Un matin recouvert d’une fine pellicule de tristesse, j’allume mon ordinateur, à ELLE où je suis journaliste, afin de lire mes mails et ces mots apparaissent en gros caractères sur mon écran : « Découvrez le nouveau poste d’Alexandre de Lamberterie. » Cette phrase surgie de je ne sais où, d’un ailleurs plus doux j’espère, me saisit. Tu es mort depuis plus d’un mois. J’ouvre le message envoyé par le réseau professionnel LinkedIn, où je me suis inscrite une après-midi de résolution – depuis, je ne suis jamais retournée sur le site, l’histoire de ma vie, en être ou ne pas en être. Je clique et tombe sur une photo de toi, barbe, cravate, chemise noir et blanc Club Monaco que ta femme, Florence, m’a offerte après ta disparition, douce armure rayée dans laquelle je me réfugie les jours mauvais. Tu es beau, grave, ton regard est déjà intranquille, on dirait une maison vide. « Art Director, Visual Presentation, Assassin’s Creed. Région de Montréal, Canada. » Vertige sur ma chaise de bureau. « Envoyez un message », peut-on lire dans un petit cadre bleu. Je jette ces mots : « Où es-tu ? »

Olivia de Lamberterie est journaliste à Elle, chroniqueuse littéraire à « Télématin » sur France 2, au « Masque et la plume » sur France Inter et correspondante pour Radio Canada…

Avec toutes mes sympathies, Olivia de Lamberterie, Stock, août 2018.