Lettre d'une infirmière en master, membre du GIC Réseau de la pratique avancée en soins infirmiers (REPASI) au nom des infirmiers de pratique avancée (IPA), adressée à la Ministre de la santé, concernant le retrait de la psychiatrie des textes en préparation sur la pratique avancée infirmière.
"Madame la Ministre de la santé,
Nous, étudiants et infirmiers de pratique avancée en psychiatrie et santé mentale, nous adressons à vous aujourd’hui, afin de vous faire part de notre incompréhension quant à la disparition de la mention santé mentale et psychiatrie dans le décret des Infirmiers de Pratique Avancée (IPA).
Madame la Ministre, bon nombre de professionnels infirmiers sont impliqués dans ce domaine de soin, dans un souci deprévention, d’efficience, de préservation et d’amélioration de la qualité de vie et des soins des patients. Les missions desIPA s’inscrivent forcément dans un travail collaboratif donc en étroite collaboration avec les médecins psychiatres. Ilsapportent déjà leur expertise dans la prise en charge des patients et de leur famille, l’éducation thérapeutique, l’évaluation, le suivi ambulatoire ou en transversalité ; c’est une réalité.
Nous nous permettons de vous rappeler vos propos lors du Congrès de l’encéphale en janvier dernier : «La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre». Or, avec ce revirement, la stigmatisation s’accroît là où vous souhaitiez «dé-stigmatiser lapsychiatrie». Le fossé entre le somatique et la psychiatrie se creuse, là où vous souhaitiez gommer cette séparation artificielle en citant Aristote « l’âme est l’entéléchie du corps ».
Vous souhaitiez faire de la psychiatrie une «priorité de santé», nous ne pouvons que vous soutenir lorsque vous exprimez le souhait que les infirmiers en pratique avancée puissent se spécialiser en psychiatrie, avec le lancement de ce dispositif dès la fin de l’année 2018. Les groupes compétences et formation sont arrivés à un consensus avec les professionnels concernés afin d’élaborer les options académiques des IPA. Puisque nous sommes dans la logique des accords de Bologne, peut-être pourrions-nous nous appuyer sur les expériences d’autres pays qui ont connu eux aussi des freins médicaux sans pour autant s’arrêter dans le processus de mise en oeuvre (1).
Nous n’envisageons pas de travailler sans collaborer avec les psychiatres et les autres professionnels au bénéfice du patient. Le renouvellement de la prescription médicale n’est qu’un outil de fluidification du parcours de soin de la personnedans un contexte de pathologie stabilisée. Nous sommes avant tout des infirmiers, certes avec une formation universitaire supplémentaire mais qui n’enlève rien à notre coeur de métier bien au contraire.
Nous savons qu’à l’heure actuelle, il y a un énorme enjeu lorsque la maladie fait son apparition. Les Centres Médico-Psychologiques ont un délai moyen (hors urgence) de plus de 67 jours (2). Les délais de prise en charge excèdent parfoisles 4 mois ; un réel travail de restructuration semble nécessaire. L’OMS estime que 25% de la population mondiale est concernée à un moment ou un autre de sa vie par un troublemental. En 2020, une personne sur cinq sera atteinte d’une maladie psychique, estime l’OMS. 18% de la populationgénérale a présenté un épisode dépressif ; 1% de la population est atteint d’un trouble schizophrénique ; 3,7% d’un trouble bipolaire ; 4,3% d’un trouble phobique. La personne souffrant d’un trouble psychique doit être prise en charge sur le long terme et sur son territoire, par des professionnels de santé compétents qui travaillent dans l’intérêt du patient (3).
Oui, les «IPA en psychiatrie et santé mentale» ont toute leur place dans l’organisation des soins. Non, elles ne souhaitent pas être des «mini médecins», ni de «supers infirmières», elles aspirent juste à pouvoir travailler, auprès des patients souffrant de troubles psychiques, afin d’améliorer leur parcours actuellement trop chaotique et inégal.
Veuillez recevoir, Madame la Ministre, nos respectueuses salutations.
Marie-Astrid Meyer, Infirmière coordinatrice ETP/Parcours de Soins, Master Sciences cliniques infirmières en coordination de parcours complexes de soins –
Représentant le COPIL Gic Répasi, porte parole du collectif infirmiers de psychiatrie
Copie à Monsieur le Président de la République et Monsieur le Premier Ministre
1. Delamaire, M. and G. Lafortune (2010), “Nurses in Advanced Roles: A Description and Evaluation of Experiences in 12 Developed Countries”, OECD Health Working Papers, No. 54,OECD Publishing,Paris. http://dx.doi.org/10.1787/5kmbrcfms5g7-en
2. Enquête sur les Centres Médico-Psychologiques (CMP) de la Région Rhône-Alpes. Dr Sylvie Ynesta, Anne-Sophie Danguin. Juin 2015. www.prs-rhonealpes.fr/fileadmin/Documents/Initiatives/Resultats_de_enquete_CMP062015.pdf
3. Isabelle de Beauchamp, Elisabeth Giraud-Baro, Thierry Bougerol, Jean Calop and Benoît Allenet Educ Ther Patient/Ther Patient Educ, 2 2 (2010) S125-S131Published online: 30 November 2010 DOI: 10.1051/tpe/2010014