On pourrait croire que la France, acteur majeur de la construction européenne, intègre, ajuste, et promeut l’ensemble des directives qui ont pour objet d’harmoniser les pratiques au sein de ce vaste territoire. C’est en effet un défi majeur pour chaque état et une nécessité pour que tout citoyen en un quelconque endroit de l’Europe puisse accéder, par exemple, à des professionnels de santé possédant des compétences aiguisées mais aussi comparables.
C’est justement dans le domaine de la formation des professionnels de santé, et plus particulièrement des infirmières, que je reste le plus étonné, indigné, révolté par la politique française mais aussi par la profession elle-même. En effet, si depuis les accords de Bologne (1) la majorité des pays européens ont décidé de promouvoir la formation universitaire des infirmières, la France reste le plus mauvais élève. En cause, sa politique du statut quo et une profession infirmière qui a bien du mal à penser sa formation en dehors des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).
Ce constat s’est à nouveau imposé lors du XVIIème Congrès de la Fédération Nationale des Étudiant.e.s en Soins Infirmiers (FNESI) à Lyon en novembre dernier. Le ministère de la santé y a pourtant affirmé avoir « ressorti le dossier de la formation des infirmières », sans savoir semble t-il qu’il l’avait enterré sous le quinquennat précèdent… L’objectif du ministère n’est donc pas « de rediscuter le quoi » mais le « comment faire pour intégrer l’université ? ». Le « quoi » reste pourtant l’essentiel de ce passage vers l’université ! Pourquoi les 550.000 infirmières et 90.000 étudiants en soins infirmiers français n’auraient-ils pas droit à des facultés en sciences infirmières dans chaque région, avec à leur tête un (ou une) doyen (docteur en sciences infirmières), comme c’est le cas en médecine ou en psychologie ? On peut comprendre que cette perspective rende frileux les technocrates des cabinets ministériels (ou les lobbys médicaux) effrayés que la profession puisse ainsi devenir incontournable dans les discussions sur les politiques de santé. Mais il existe aussi un ennemi intérieur plus sournois, à savoir les directions d’IFSI qui ne veulent pas abandonner leurs prérogatives sur la formation infirmière. Ce passage à l’université (s’il correspondait à une véritable filière universitaire en soins infirmiers), aboutirait en effet à leur fermeture ou à leur réaffectation comme antenne universitaire.
Dans ce contexte, ne reste plus que la mobilisation étudiante ! Ces futurs professionnels doivent en effet revendiquer haut et fort que tout étudiant en soins infirmiers européen devrait pouvoir intégrer, au sein d’une université, une filière LMD (Licence Master Doctorat) complète en sciences infirmières pour offrir des soins de qualité aux patients dont il a la charge.
Philippe Delmas, Docteur en sciences infirmières
Infirmier français, cadre expert, chercheur et Docteur en soins infirmiers au Québec, Philippe Delmas a travaillé de longues années en France avant d'enseigner en Suisse. Il a été un artisant majeur de la création de L'Ordre infirmier Français.
(1) La France a signé les accords de Bologne du 19 Juin 1999 (accords définitifs d'avril 2002) qui prévoit que toutes les formations universitaires doivent intégrer le système universitaire Licence Master Doctorat (L.M.D). L'objectif principal de cet accord est de créer une espace européen de l'enseignement supérieur. Il renforce la mobilité des étudiant-e-s et des chercheurs/euses, augment l'attractivité des études en Europe et facilite la reconnaissance des diplômes.