L’article suivant est un rapport commenté d’un entretien de Joseph Gatugu, philosophe, avec avec un migrant souffrant accompagné par l’association Belge Tabane. Il met en exergue la difficulté d’expression des grandes souffrances relative à la méconnaissance de la langue de l’interlocuteur et à l’ampleur des souffrances subies. Quand les mots utilisés ne collent pas aux maux, le locuteur recourt au langage non verbal relevant de son univers culturel. Cela occasionne des problèmes de communication interculturelle dans la relation thérapeutique. Mais ces problèmes peuvent être atténués par l’empathie.
Les penseurs de l’identité narrative, Alasdair MacIntyre, Charles Taylor, Hannah Arendt et Paul Ricœur principalement, affirment que la première forme d’identité à laquelle un individu (ou une communauté) accède est narrative. Selon eux, l’appréhension primitive de soi est médiatisée par les histoires. Ainsi, explique Hannah Arendt, « Répondre de façon approfondie à la question “qui suis-je ?”conduit à raconter l’histoire d’une vie ». C’est ainsi que mon interlocuteur s’est présenté à moi. Il m’a raconté son histoire. Pas toute l’histoire de sa vie évidemment mais plutôt celle qui l’a fortement marqué, à savoir celle de ses souffrances consécutives à sa détention pénitentiaire, qu’il raconte également à tous ceux qui la lui demandent. Et même celle-là n’a pas été racontée en entièreté, par faute de temps.
Plus explicitement, il m’a juste raconté quelques épisodes saillants de sa vie de souffrance et la manière dont ses interlocuteurs institutionnels belges les ont accueillis. Pour lui, raconter cette histoire participe du processus thérapeutique. Cependant, il regrette que ses interlocuteurs ne le croient pas. Ses récits ne paraissent pas convaincants comme s’il mentait sur son état de santé psychique. Comment les convaincre ? Telle est la question que se posent bien de migrants confrontés aux interrogatoires similaires. Ce qui leur est en effet demandé est de prouver qu’ils sont réellement souffrants. Pour ce faire, ils sont sommés de produire un discours approprié, un discours convaincant, un discours type. Et ce discours doit être idéalement répété tel quel à chaque entretien. Il est interdit aux migrants de se tromper, d’oublier dans ses moindres détails la première histoire racontée et, pire, de se contredire. Bref, il est attendu d’eux qu’ils disent LA VERITE. Mais quelle vérité ? s’interrogent souvent les migrants.