Le Cercle de réflexion et de propositions d'actions sur la psychiatrie (CRPA) signale un jugement indemnitaire du 21 novembre 2016, pris par la 1re chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris, qui condamne l’Agent judiciaire de l’État, représentant la Préfecture du Morbihan, sur un montant record de 617 000 euros. Analyse et documents sur le site du CRPA.
Cette décision a été obtenue par Me Raphaël Mayet, avocat au Barreau de Versailles. Elle concerne un homme qui a actuellement la soixantaine, dont nous avions inauguré le dossier en mars 2010 dans le cadre du Groupe information asiles, et qui était en hospitalisation d’office depuis septembre 1995, pour des faits de simple correctionnelle.
M. J.-L. C., s’il ne se défendait pas, devait sans doute rester interné d’office à perpétuité, d’une part parce que déclaré pénalement irresponsable, d’autre part du fait d’être connu des services de police et psychiatriques d’Ille-et-Vilaine pour des antécédents d’hospitalisations sans consentement depuis ses 20 ans. Précisons que cet homme, avant son internement, était de condition ouvrière en ayant été longuement marginalisé. M. J.-L. C. a en réalité fait partie de ces internés d’office oubliés dans les établissements psychiatriques qu’on conserve dans les murs jusqu’à leur décès.
Cette décision fait l’objet d’un appel de l’Agent judiciaire de l’État. Me Raphaël Mayet ne s’attend pas à ce que cet appel prospère, mais bien plutôt le quantum actuellement accordé soit maintenu.
Précision importante : c’est dans cette même affaire qu’ont été prises les décisions du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011 censurant les maintiens en hospitalisation d’office ancien régime, et du 21 octobre 2011 censurant l’article L 3213-8 du code de la santé publique relatif aux modalités dérogatoires de levée des hospitalisations d’office des pénaux irresponsables sous l’empire de la loi du 27 juin 1990, qui avait instauré un collège d’experts psychiatres dont l’avis tenait le juge des libertés et de la détention comme du reste la Préfecture. Ces experts psychiatres étant en réalité les décideurs du maintien ou de la levée de l’hospitalisation d’office médico-légale.
Cette affaire a prêté lieu à deux arrêts de la cour de cassation, dont un arrêt de principe, publié au Bulletin de la Cour, du 27 février 2013 sur le délai de 12 jours dans lequel les JLD doivent statuer sur les demandes facultatives de mainlevée d’hospitalisations psychiatriques sans consentement. Ce délai étant impératif, à défaut la mainlevée de la mesure étant acquise d’office.
Le précédent record en matière d’indemnisation d’un internement psychiatrique arbitraire avait été établi le 6 juillet 2000, par la 1re chambre civile du Tribunal de grande instance de Lille (cf. pièce jointe n°2), dans l’affaire de M. René Loyen (qui fut président du Groupe information asiles de 1990 à 1996), pour un placement d’office médico-légal qui s’était déroulé entre décembre 1984 et janvier 1987, sous l’empire de la loi du 30 juin 1838 relative à l’internement des aliénés. Cet internement d’office avait été entrecoupé d’une sortie d’essai de plusieurs mois, alors même qu’à l’époque les sorties d’essai n’étaient régies que par une circulaire ministérielle de 1957, et que de ce fait elles n’étaient pas pleinement légales. Le TGI de Lille avait accordée aux consorts Loyen 4 millions de francs (600 000 euros actuels). La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 28 avril 2003, avait minoré ce quantum en le ramenant à un montant de 192 000 euros.
Quoiqu’il en soit, étant donné que M. J.-L. C. est SDF et réside en service libre au CH Guillaume Régnier de Rennes ; étant donné également que l’exécution provisoire a été accordée par la 1re chambre civile du TGI de Paris, M. J.-L. C. va pouvoir prochainement s’acheter un deux pièces cuisine tout confort au centre ville de Rennes, et toiser goguenard ses anciens géôliers.
A tout le moins ce jugement indemnitaire constitue un avertissement solennel pour les Préfectures et les établissements psychiatriques qui entendent tenir sous mesures d’hospitalisations sans consentement en direction de perpétuités, des patients qui relèvent du registre médico-légal, et pour lesquels un internement à vie est parfaitement disproportionné.