Une stratégie nationale pour « prendre soin de ceux qui nous soignent »

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Améliorer la qualité de vie au travail (QVT) des professionnels de santé, telle est l’ambition de la stratégie nationale « Prendre soin de ceux qui nous soignent », présentée le 5 décembre par la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine. Il s’agit du premier volet, qui concerne les professionnels des établissements sanitaires et du médico-social. La deuxième étape, attendue pour début 2017, concernera des mesures spécifiques aux professionnels libéraux. Pour l’heure, la ministre a annoncé la mise en place d’une stratégie en trois axes qui se déclinent concrètement en dix engagements.
 

Placer la qualité de vie au travail comme un objectif à part entière de notre système de santé
1– Donner une impulsion au niveau national. Cela passe par la mise en place d’une gouvernance nationale pour promouvoir, suivre et rendre compte de cette démarche. « Une mission nationale chargée de la QVT au travail des professionnels de santé permettra de recenser, valoriser, diffuser les bonnes pratiques et les évaluer », souligne Marisol Touraine. Dès le début de 2017, c’est également un observatoire national de la QVT et des risques psychosociaux des professionnels de santé qui verra le jour. Il proposera des orientations stratégiques en s’inspirant d’expériences de terrain et d’initiatives étrangères. Il travaillera notamment à la création d’outils permettant de mieux évaluer la charge en soins et d’aider les établissements à mieux apprécier les moyens humains nécessaires aux différents services. La stratégie prône aussi d’intervenir sur les conflits internes au plus tôt, dans un cadre approprié, afin d’éviter leur aggravation et leurs conséquences en matière de risques psychosociaux. Pour cela, il s’agit d’organiser des médiations, reposant sur un premier niveau de conciliation locale, un deuxième niveau de médiation régionale et un troisième niveau de médiation nationale. Un vivier régional de médiateurs sera constitué et un médiateur national nommé auprès de la mission et de l’observatoire de la qualité de vie au travail.
2– Adapter les formations initiales et continues pour développer la QVT au travail. Il s’agit de faciliter le repérage, par le collectif de travail, des professionnels en situation de fragilité sur le
 plan psychosocial en renforçant le management des équipes. Cela peut être par exemple intégrer un module QVT dans toutes les maquettes de formations initiales médicales, paramédicales et de directeurs d’établissement. L’accent est tout particulièrement mis sur la formation managériale : « Concrètement, plus personne ne doit pouvoir prendre une fonction d’encadrement sans avoir été formé au management, à la gestion et à l’animation d’équipes, à la résolution de conflits et à la conduite de projets. Une équipe qui bénéficie d’un manager performant (…) sera moins exposée aux risques psychosociaux et saura mieux gérer les situations de soins les plus difficiles. »
3– Revaloriser la médecine du travail et généraliser les services pluriprofessionnels de santé au travail. Chaque professionnel doit pouvoir bénéficier d’une prise en charge globale (médicale, psychologique et sociale) adaptée à ses besoins sur son lieu de travail.
4– Reconnaître les sujétions particulières liées aux rythmes de travail nécessaires à la continuité des soins. La ministre souhaite ouvrir une concertation spécifique pour adapter le régime indemnitaire.
 

Améliorer l’environnement et les conditions de travail au quotidien
5– La QVT doit ainsi devenir l’une des priorités stratégiques de chaque structure sanitaire et médico-sociale, elle est au coeur du dialogue et des politiques sociales. Une notion que la ministre souhaite d’ailleurs voir intégrée au projet d’établissement. De la même manière, une sous-commission en charge de ces sujets doit être créée au sein de chaque commission médicale d’établissement (CME). Il faut également mieux percevoir les attentes des personnels par rapport à leurs conditions d’exercice. Les baromètres sociaux au sein des établissements seront ainsi généralisés. La question de la QVT devra par ailleurs être abordée chaque année lors d’un rendez-vous dédié. Enfin il s’agit aussi de renforcer la sécurité des professionnels au travail, notamment en facilitant le dépôt de plainte en cas d’actes malveillants ou d’agression subis dans l’exercice professionnel.
6– Redonner plus de place à l’écoute, à l’expression et aux initiatives individuelles ou collectives au sein des équipes. Il s’agit pour cela de systématiser les réunions d’équipes de proximité, d’améliorer la synchronisation des organisations de travail médicales et non médicales et de systématiser un entretien annuel individuel pour chaque professionnel.
7– Favoriser la conciliation entre vie privée et vie professionnelle en redonnant de la stabilité et de la visibilité en matière de planning.
 

Accompagner les professionnels au changement et améliorer la détection des risques psychosociaux (RPS)
8– Proposer un accompagnement personnalisé via l’adoption d’une charte de l’accompagnement des professionnels en cas de restructuration. Sensibilisation et information des professionnels sur les évolutions du système de santé sont aussi prévues. Plus largement, Marisol Touraine entend améliorer la sensibilisation grâce notamment à des dispositifs d’écoute et notamment les numéros d’appel téléphonique.
9– Mieux accompagner les cadres dans leurs activités de management en généralisant le codéveloppement, le coaching et le mentorat. Il s’agit également de systématiser les formations des faisant-fonctions de cadres et de généraliser les dispositifs d’accompagnement et de permettre à l’encadrement de proximité de s’approprier les outils de gestion informatisée des plannings. Enfin la ministre souhaite proposer aux cadres des parcours professionnels pour la 3e partie de carrière indépendamment des fonctions d’encadrement comme la fonction de cadre expert.
10– Détecter et prendre en charge les risques psychosociaux. Il s’agit d’améliorer la sensibilisation et la détection des RPS, d’assurer à chaque professionnel l’accès à un dispositif d’écoute pour un soutien psychologique et de permettre aux équipes de s’exprimer pour analyser ensemble les situations de travail difficiles (analyses de pratiques). Enfin il faut améliorer le recueil et l’analyse des événements indésirables graves liés au risque psychosocial, en signalant par exemple les suicides et tentatives de suicide.
 

Une stratégie sans moyens…
Face à ces annonces, les professionnels font état de leurs inquiétudes quant à l’allocation de moyens.
S’il souligne le côté « positif » de la stratégie nationale, David Gruson, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), note l’absence de détails concernant les financements de ces mesures et reste prudent.
Pour sa part, l’Ordre national des infirmiers (ONI) demande au Ministère « d’engager sans tarder », notamment en partenariat avec les infirmiers eux-mêmes, « un travail approfondi et concerté d’élaboration et de mise en oeuvre de plans valides et fiables de dotation en personnel infirmier, selon la charge en soins, au sein des hôpitaux. Seule une telle approche structurelle et concrète peut apporter aux infirmiers les réponses qu’ils attendent pour apaiser leur profond malaise. »
De son côté, Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI) décerne la « mention “en progrès” mais doit faire mieux et vite ! ». « Dans les services à bout de souffle, ce ne sont plus des paroles que l’on veut, mais des actes et certaines directions ne sont pas disposées à les délivrer… bien au contraire (…) il s’agit maintenant d’aller au-delà de l’affichage politique et de donner les moyens aux établissements. »
Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) déplore quant à lui de n’avoir pas été invité à participer aux travaux et dénonce « un beau programme, mais sans réels moyens, et surtout sans cohérence avec les injonctions économiques qui frappent l’hôpital. (…) Le ministère décide de nous amputer d’un membre, mais nous donnera un comprimé pour soulager notre douleur, ou sa conscience. Sans moyens, cette stratégie, c’est un cautère sur une jambe de bois ».