Dépakine : un plan d’indemnisation des victimes avant fin 2016

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Alors que plus de 14 000 femmes enceintes souffrant d'épilepsie ou de troubles bipolaires ont été exposées à l'acide valproïque entre 2007 et 2014, le ministère des Affaires sociales et de la Santé entend renforcer la surveillance et met en place un dispositif d'indemnisation.
 
Rappelons que L’acide valproïque, commercialisé en France depuis 1967, est un traitement majeur de l’épilepsie. Il a ensuite été proposé, sous forme de valproate de sodium et de valpromide, comme traitement de seconde intention du trouble bipolaire. Les effets tératogènes de l’acide valproïque sont connus depuis le début des années 1980, notamment les nomalies de fermeture du tube neural (spina bifida). Plus récemment, dans les années 2000, un risque augmenté de retards du développement et de troubles du spectre de l’autisme a été mis en évidence parmi les enfants exposés à l’acide valproïque in utero.

Ces nouvelles connaissances sur les effets de l’exposition in utero à l’acide valproïque ont conduit l’Agence européenne du médicament (EMA) à un processus de réévaluation du rapport bénéfice-risque, et des mesures de réduction des risques ont été actées par l’EMA fin 2014. L’EMA a néanmoins confirmé la nécessité de maintenir ces médicaments à disposition pour les femmes enceintes ou en âge de procréer, mais uniquement en cas d’intolérance ou d’échec aux autres traitements disponibles.

En France, les conditions de prescription et de délivrance de l’acide valproïque dans cette population ont été renforcées à partir de mai 2015, imposant une primo prescription annuelle par un médecin spécialiste (neurologue, psychiatre ou pédiatre) et conditionnant la délivrance en pharmacie à la présentation d’un formulaire d’accord de soins cosigné par le médecin prescripteur et la patiente.Ce renforcement s’est accompagné d’une information auprès des prescripteurs et des patientes et de l’apposition d’une mise en garde sur le conditionnement extérieur des spécialités à base d’acide valproïque.

Dans ce contexte un programme d’études pharmaco épidémiologiques a été initié en 2015 conjointement par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) afin d’évaluer, à partir des données du système national interrégimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), la situation sanitaire engendrée par l’exposition de femmes enceintes à l’acide valproïque en France.

Par communiqué, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, annonce la mise en place d'un fonds d'indemnisation des victimes. Une annonce faite au préalable aux représentants de l'Association des parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant (Apesac). Ils ont été reçus au ministère à l'occasion de la présentation de l'étude de l'Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) sur le dossier.

Les chiffres de l'étude

D'après l'étude de l'ANSM, 14 322 femmes enceintes ont été exposées à la Dépakine, entre 2007 et 2014. Seulement 60% de ces grossesses ont donné lieu à une naissance vivante. Plus de 4 300 grossesses ont été interrompues (interruption volontaire ou interruption médicale). L’étude dénombre 1 106 fausses couches ou grossesses extra-utérines et 115 mort-nés.

Dans 40% des cas, les enfants nés sous Dépakine présentent des troubles neurologiques et comportementaux, comme l'autisme. "Si nous extrapolons à quarante-neuf ans de prescription, le nombre de victimes dépasse les 50 000", estime Marine Martin, présidente de l'Apesac. Une seconde étude, avec le chiffre précis d'enfants nés avec des complications liées, sera rendue publique avant la fin de l'année.
Avec Charles Joseph-Oudin, l'avocat de l'association, elle dénonce un "scandale sanitaire". Ils pointent ainsi la responsabilité "partagée" de l'État et du laboratoire Sanofi, qui disposait du brevet jusqu'en 2006. Marine Martin estime que le laboratoire "méprise les victimes" et a "délibérément" omis des informations. Elle les accuse de "tromperie aggravée". Charles Joseph-Oudin, de son côté, considère que le laboratoire fait preuve d'un "déni de responsabilité" en refusant de donner des pièces ou de se rendre aux rendez-vous d'expertise. Le ministère indique cependant, dans son communiqué, que "la mission d'expertise judiciaire sera amenée à rencontrer prochainement le laboratoire Sanofi".

Vigilance de l'association sur le fonds d'indemnisation
Ce sont les mêmes travaux de cette expertise judiciaire qui permettent la mise en place d'un fonds d'indemnisation. Un fonds qui sera discuté et voté devant le Parlement, au moment du vote de la loi de financement de la sécurité sociale ou de la loi de finances. "Nous veillerons à ce que les textes votés soient protecteurs et nous serons très attentifs au principe de la réparation intégrale", indique Charles Joseph-Oudin qui estime que "tout reste à faire" sur le fonctionnement et le financement de ce fonds. Si les réparations ne sont pas encore chiffrables, elles devraient s'avérer plus élevées que celles des victimes du Mediator, puisque les enfants concernés seront indemnisés toute leur vie.
Le Gouvernement va aussi mettre en place un protocole national de dépistage et de signalement (PNDS) dans six mois. Ce protocole permettra d'identifier les victimes et la prise en charge de leur soin par l'Assurance maladie. Un système d'alerte dans les logiciels d'aide à la prescription (LAP) sera également mis en œuvre. Et le 4 octobre, un registre national sur les malformations congénitales sera créé.

Quinze procédures en cours
La Dépakine fait l'objet de quinze procédures judiciaires actuellement. Ces dossiers pointent la responsabilité des médecins au cas par cas. Mais le chiffre des procédures pourrait s'alourdir avec la mise en cause des autres produits anti-épileptiques et contre les troubles bipolaires. "Tous les anti-épileptiques sont tératogènes", souligne Marine Martin. Marisol Touraine annonce que l'ANSM procédera à la réévaluation des substances actives pour le traitement de ces pathologies. "Un suivi prospectif de l'ensemble des anti-épileptiques sera réalisé en lien avec l'Apesac", promet-elle dans son communiqué. Une prochaine rencontre avec l'association est déjà programmée en septembre.
Jérôme Robillard, Hospimédia, 24 août 2016.
  • Exposition à l’acide valproïque et ses dérivés au cours de la grossesse en France de 2007 à 2014 : une étude observationnelle sur les données du SNIIRAM. ANSM, CPAM,  Août 2016. Rapport et synthèse disponible sur le site du Ministère des Affaires sociales et de la Santé.