L'historien Jean-Pierre Azéma, président de la mission du 70e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, vient de remettre au Sécrétariat d'état chargé des Anciens combattants et de la Mémoire ainsi qu'à celui chargé des Personnes handicapées et de la Lutte contre l'exclusion, un rapport de mission sur le drame que les personnes handicapées mentales ou malades psychiques ont connu dans les hôpitaux psychiatriques et hospices français entre 1941 et 1945. Rappellons que durant le conflit, on chiffre à 45 000 le nombre de malades mentaux morts de faim en France.
Une "hécatombe des fous", pour reprendre notamment le titre du livre de l'historienne Isabelle von Bueltzingsloewen, sorti en 2007 (1) et cité comme "l'ouvrage de référence" par Jean-Pierre Azéma. Ce dernier la suit d'ailleurs quand elle soutient "qu'il n'existe aucune directive qui prouverait que le régime de Vichy a bien eu l'intention d'éliminer les malades mentaux" (2). Un point fait l’unanimité, l'auteur souligne que : "ce ne fut pas une crise de famine aiguë et généralisée, ce fut encore moins le programme d’élimination par la faim programmée par le Reich qui fit périr au bas mot deux millions de prisonniers soviétiques. Non. Il serait plus judicieux, pour désigner ce drame indiscutable de reprendre la formulation de l’un des secrétaires d’État au Ravitaillement, Max Bonnafous, déplorant un « état de famine lente ». Notons toutefois que tous les malades mentaux n’ont pas connu le même sort : les femmes, qui passent pour mieux réduire leurs dépenses en énergie, ont mieux résisté que les hommes ; et parmi ces derniers les plus vulnérables ont été les vieillards, les grabataires et les malades « chroniques », souvent internés depuis des années, notamment des schizophrènes, de grands mélancoliques et des déments séniles. Soulignons encore que, contrairement à ce qui a été écrit, il y a eu des victimes de la faim dans tous les hôpitaux psychiatriques sans exception, souvent lors del’effroyable désorganisation de l’exode.
Les réactions de l'institution psychiatrique
L'auteur précise que "les psychiatres occupaient dans le système médical français une place un peu particulière : en 1940, sur 27 000 praticiens, ils n’étaient que 207, peu considérés par les autres spécialistes, n’ayant d’ailleurs pas le droit de recevoir une clientèle privée, et avec le statut de fonctionnaires, dépendaient localement du préfet ; on perçoit bien que leur parole ne pesait pas très lourd auprès des autorités médicales. Ajoutons qu’étant très peu nombreux, ils étaient chargés d’un très grand nombre de patients (certains en ont eu jusqu’à 800), avec un personnel très raréfié, du fait de la guerre. De surcroît la plupart des médecins-chefs de ces hôpitaux hésitèrent à établir, dans un premier temps, un lien de cause à effet entre surmortalité et sous-alimentation ; certains même le nièrent. Pourquoi ? C’est difficile à cerner. Comme la famine a disparu de leur univers mental (elle n’avait pas sévi durant la Grande Guerre) beaucoup paraissent avoir eu du mal à évaluer le déficit calorique des patients en regard de leur déficit vitaminique. Beaucoup se lancèrent dans une distribution systématique de vitamines. Sans grands résultats."
Un monument commémoratif
En signe mémoriel, Jean-Pierre Azéma propose d'ériger un monument sur le Parvis des droits de l'homme à Paris élargissant les propos au-delà des seuls malades mentaux. En dédicace : "Aux victimes civiles mortes de faim et de froid dans l'indifférence, durant l'occupation", l'historien invite aussi à apposer une plaque à l'entrée des hôpitaux psychiatriques en service durant la Seconde Guerre mondiale rappelant que 45 000 malades mentaux sont morts de faim en France à cette époque. Enfin, "une comme?moration officielle de "l'he?catombe" pourrait se faire lors de la journe?e nationale des personnes en situation de handicap", à savoir chaque 3 décembre. Dans un communiqué commun, les deux secrétariats d'État soulignent que ces propositions "doivent maintenant être partagées et discutées avec les divers partenaires de l'association Mouvement pour une société inclusive, afin de proposer au président de la République les gestes qui permettront d'inscrire dans la mémoire nationale le souvenir de ces victimes trop longtemps oubliées".
Mission sur le drame que les personnes handicapées mentales ou malades psychiques ont connu dans les hôpitaux psychiatriques et les hospices français entre 1941 et 1945, J.-P. Azéma, octobre 2015, ministère de la Défense, Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes.
(1) "L'Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l'occupation", Isabelle von Bueltzingsloewen, éditions Aubier, 2007.
(2) 49 malades mentaux de l'hôpital psychiatrique de Stephansfeld-Brumath en Alsace ont été gazés sur ordre du Reich. Mais l'Alsace étant alors annexée par l'Allemagne et non uniquement occupée, ils ont été exterminés comme l'ont été les malades mentaux allemands.