Dans le cadre du Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) a sollicité l’Inserm pour établir un bilan des connaissances scientifiques sur les vulnérabilités des adolescents (âgés de 10 à 18 ans) à l’usage de substances psychoactives, mais aussi aux pratiques identifiées comme pouvant devenir problématiques (jeux vidéo/Internet, jeux de hasard et d’argent).
Recommandations
Les experts soulignent que les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés qui prédominent sur les autres substances et les jeux.
Les recommandations d’actions ont trois objectifs principaux :
==> Prévenir l’initiation ou en retarder l’âge
Le groupe d’experts recommande de sensibiliser le public et les différents acteurs (jeunes, parents, intervenants du secteur scolaire, parascolaire ou médical…) à la vulnérabilité de l’adolescent et aux dangers associés à une initiation précoce. Il s’agirait de renforcer, sans dramatiser, les messages décrivant l’impact durable sur la santé, et en particulier sur le cerveau, d’une consommation massive et rapide d’alcool ainsi que d’une consommation régulière de cannabis pendant l’adolescence. Pour modifier les motivations, les attentes et les représentations existantes de ces produits, les campagnes média doivent être accompagnées de mesures éducatives et législatives.
Pour prévenir l’initiation, les experts soulignent également l’importance du développement des compétences psychosociales des adolescents. Cela pourrait s’inscrire dans des activités de groupe, notamment en milieu scolaire, et être en adéquation avec l’entrée dans la consommation des différents produits (10-12 ans par exemple pour le tabac).
Les adolescents demeurent très sensibles aux messages véhiculés par les parents. C’est pourquoi le groupe d’experts recommande d’informer régulièrement les parents sur les dommages liés aux consommations précoces, sur l’évolution des modes de consommation chez les jeunes et sur les codes marketing qui leur sont destinés et qui visent à promouvoir la consommation. Il s’agit d’aider les parents à avoir l’attitude la mieux adaptée à la situation.
En renforçant la formation des intervenants en milieu scolaire, sportif ou de loisir, l’ensemble des acteurs en contact avec les adolescents seraient informés des problématiques addictives et formés au repérage précoce des adolescents et aux interventions qui peuvent être réalisées.
Afin de mieux encadrer la vente du tabac et de l’alcool, les experts préconisent que l’achat de ces produits soit systématiquement assorti de la présentation d’un document officiel indiquant l’âge. Ils mettent l’accent sur le respect et le renforcement des lois réglementant la publicité qui favorise également la pratique précoce des jeux de hasard et d’argent. Il conviendrait également d’assurer une meilleure visibilité du contenu des jeux vidéo grâce à la présence et l’amélioration des logos définissant les classifications d’âge et de contenus.
==> Eviter les usages réguliers et les dommages sanitaires et sociaux
Pour éviter l’installation d’une conduite addictive, le groupe d’experts préconise d’améliorer le repérage des usages à risque et les interventions précoces, de renforcer les actions de première ligne telles que les “Consultations Jeunes Consommateurs” en formant le personnel aux méthodes de prise en charge précoce et de former un certain nombre aux thérapies ayant fait preuve de leur efficacité (TCC, thérapie familiale type MDFT). En cas d’échec des soins en ambulatoire, une prise en charge des adolescents présentant des conduites addictives devrait être proposée dans les centres spécialisés et en milieu résidentiel.
L’existence de souffrances ou de troubles psychiques associés à une consommation excessive ou à des pratiques addictives exige de renforcer les liens entre les dispositifs d’addictologie et les services de pédopsychiatrie/psychiatrie, notamment ceux spécialisés dans l’évaluation et l’intervention précoce chez le jeune adulte ainsi qu’avec les maisons des adolescents.
Enfin, le groupe d’experts recommande d’améliorer la coopération des professionnels de l’éducation, de la santé et de la justice (lien avec les juges pour enfants et la protection judiciaire de la jeunesse) pour optimiser l’orientation et la prise en charge.
==> Assurer une coordination nationale et régionale des acteurs territoriaux
Le groupe d’experts souligne la nécessité de soutenir et développer au niveau local des structures publiques transversales d’animation dédiées aux addictions afin d’assurer une coordination régionale des acteurs territoriaux. Le recensement des actions de prévention à l’échelle régionale en France, permettrait de connaître et de diffuser les stratégies de prévention validées et de proposer des recommandations à l’intention des établissements scolaires et collectivités territoriales. Pour assurer cette coordination, les experts recommandent la mise en place d’une commission d’évaluation des programmes de prévention, qui sont actuellement rarement évalués.
Des recommandations de recherche ont également été formulées :
Des recherches multidisciplinaires, cliniques et fondamentales associées à des études longitudinales doivent être soutenues afin de suivre les trajectoires de consommations et de vie afin de mieux connaître les usages, les facteurs de risque, de résilience et les effets sanitaires et sociaux (conséquences sur la scolarité par exemple) de la consommation de substances psychoactives ou la pratique de jeux menant à des conduites addictives.
Les recherches en sciences humaines et sociales, notamment sur les motivations des adolescents et leurs pratiques sociales, apparaissent nécessaires pour des interventions de prévention plus efficaces.
Les experts insistent sur l’intérêt de développer, évaluer et valider les outils de dépistage et les stratégies de prise en charge des jeunes présentant des conduites addictives.
Ils recommandent également de conduire des recherches sur les moyens de prévenir les pratiques addictives des jeunes (rôle des technologies numériques par exemple).
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Sensibiliser les jeunes aux addictions par la recherche : le programme Apprentis-Chercheurs MAAD (Mécanismes des Addictions à l’Alcool et aux Drogues)
« On a cherché à voir s’il y avait une différence entre les individus addicts et ceux n’ayant jamais touché à la drogue » ; « on a coloré des coupes de cerveaux pour voir quels sont les différents neurones impliqués dans l’addiction » ; « on a calculé le taux d’expression des gènes après consommation ». Voilà quelques propos tenus par les adolescents qui ont été sélectionnés pour le programme MAAD et ont travaillé tout au long de l’année scolaire, à raison de 1 ou 2 mercredi après-midi par mois, dans un des 5 laboratoires de recherche sur les addictions participant au programme, à Amiens, Bordeaux, Marseille, Paris et Poitiers. Piloté par l’Inserm et financé par la Mildt, le projet MAAD s’appuie sur le dispositif Apprentis-Chercheurs mis en place par l’association Arbre des connaissances créée en 2004 par des chercheurs de l’Institut d’Hématologie de l’hôpital St Louis et dont l’objectif principal est d’intéresser les jeunes aux questions de science par la pratique de la recherche expérimentale.
Encadrés par un chercheur senior de l’équipe d’accueil, les jeunes, en binôme constitué par un collégien en classe de 3ème et un lycéen en classe de 1èreS, sont engagés dans une vraie démarche expérimentale : question scientifique, planification et réalisation des expériences, analyse des résultats. Dix binômes ont pu être accueillis. Plasticité synaptique, expression génomique, immuno-histochimie, méthodes d’analyse comportementale, électrophysiologie… n’ont plus de secrets pour eux. Après le laboratoire vient le temps de la communication. A l’occasion des congrès qui se sont tenus dans chaque ville, les apprentis-chercheurs MAAD, comme des scientifiques chevronnés, présentent leurs travaux au public, élèves de leur établissement scolaire, parents, enseignants…. , devenant ainsi des médiateurs scientifiques ; les 5 congrès organisés ont réuni environ 500 personnes. Le regard des apprentis-chercheurs MAAD sur les drogues a changé : « c’est intéressant de savoir pourquoi on devient addict » ; « j’ai compris que l’addiction ne relève pas seulement de la volonté de l’individu » ; « ce n’est pas seulement une faiblesse de l’esprit »…
La deuxième édition du programme, 2013-2014, s’appuie sur 9 laboratoires et s’est élargie au tabac et au cannabis.
Pour plus d’informations et assister à une séance MAAD le mercredi après-midi et/ou aux congrès de fin d’année qui auront lieu du 2 au 10 Juin 2014 dans toute la France: presse@inserm.fr