Psychose débutante : 10 propositions pour l’intervention précoce

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En France, comment booster l’intervention précoce dans la psychose ? Des experts formulent 10 propositions, tandis que la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, en fait par ailleurs une de ses priorités en évoquant la nécessité de centres de références.

Marie-Odile Krebs, Professeur à l’Université Paris-Descartes, Institut de Psychiatrie, fait le point.

La psychiatrie est aujourd’hui dans la situation de l’oncologie il y a 20 ans. Les programmes internationaux ont démontré qu’une prise en charge précoce améliore la qualité de la rémission et pourrait prévenir les formes chroniques de schizophrénie. Mais actuellement en France, le retard de prise en charge est considérable : il faut en effet attendre 1 à 2 ans après le déclenchement des troubles, auxquels il faut ajouter 5 ans pendant lesquels les symptômes sont présents sous une forme atténuée (prodromes).

Rattraper le retard français
Depuis 2007, le réseau Transition, créé autour de l’expérience pilote du Centre d’évaluation pour jeunes adultes et adolescents (C’JAAD) (1) du CH Sainte-Anne à Paris, a permis d’initier les échanges d’expériences entre professionnels, la validation d’outils d’évaluation et de prise en charge ainsi que la formation et l’information sur l’intervention précoce dans la psychose. La 10e édition des Journées internationales sur les pathologies émergentes des jeunes adultes et adolescents (JIPEJAAD) a été l’occasion de faire la synthèse des avancées internationales et d’établir une feuille de route pour rattraper le retard français, basée sur 10 propositions :
1– Établir et diffuser des recommandations françaises pour les soins (évaluations, stratégies thérapeutiques) et pour l’implantation des dispositifs d’intervention précoce (cahier des charges, suivi de fidélité à ce cahier des charges).
2– Développer la formation des professionnels : formations pratiques, MOOC (cours en ligne), Master Class doivent se développer en complément du diplôme universitaire ouvert à tous les soignants proposé par l’Université Paris-Descartes (2).
3– Établir un « diagnostic » territorial sur l’intervention précoce par des enquêtes de terrain pour identifier les freins et opportunités dans les différents territoires en particulier en analysant des initiatives émergentes.
4– Déployer un réseau national (« Youth friendly ») de centres spécialisés dans l’intervention précoce, articulés avec les structures existantes médicales, médicosociales, éducatives, professionnelles et répartis sur le territoire (à un niveau supra-sectoriel).
5– Créer un centre ressource coordonnant le réseau à l’échelle nationale, facilitant le déploiement d’outils collaboratifs pour le recueil de données et assurant une veille scientifique, en lien avec les réseaux internationaux.
6– Développer de nouvelles pratiques de prises en charge : case management (3), à articuler avec le médicosocial, (mais dont il faudra revoir les modalités d’accès pour des jeunes qui ne sont pas en situation de handicap), thérapies cognitives et comportementales centrées sur les symptômes psychotiques, entretien motivationnel, et favoriser l’approche globale (y compris l’activité physique adaptée).
7– Déploiement d’un système d’information centré sur l’usager et favorisant la coordination des intervenants et la continuité du parcours de soins. Certaines nouvelles technologies permettront d’améliorer l’engagement dans les soins et le rétablissement, sans stigmatisation.
8– Favoriser l’information des parents et des enseignants et de tout professionnel de première ligne en contact avec les jeunes : ressources documentaires, référencement des centres d’intervention précoce sur un site internet, conférences en établissements à l’exemple du programme #psyJeunes (4) en parallèle à d’indispensables campagnes de déstigmatisation. Développer des moyens d’échange, y compris connectés, avec les jeunes.
9– Développer des recherches pour favoriser l’essor de nouveaux outils de dépistage, d’évaluation ou de prises en charge favorisant l’insertion sociale (par exemple outils d’entraînement cognitif) ; l’identification de facteurs de transition psychotique et de biomarqueurs, ouvrant vers de nouvelles thérapeutiques spécifiques, et sans oublier certaines populations spécifiques (par troubles du spectre autistique, sujet porteur d’anomalies génétiques).
10– Accompagner ce déploiement avec des études médico-économiques. L’expérience internationale montre le gain considérable à en attendre : un euro investi dans l’intervention précoce pour la psychose débutante en fait économiser 15 (London School of Economics ; McDaid et al, 2016).
 

Rejoignez la « task force »
La France a donc un retard important dans le déploiement de l’intervention précoce dans la psychose. Au coeur du problème : l’insuffisance de formation des acteurs de soins primaires et spécialisés, la stigmatisation de la psychiatrie et des parcours de soins trop fragmentés. Le réseau Transition, fondateur avec le Québec et la Suisse de la nouvelle branche francophone de l’association Early Intervention in Mental Health (IEPA), souhaite aujourd’hui rassembler, autour d’une « task force », tous les intervenants qui veulent participer à un nécessaire élan national pour l’intervention précoce. Rejoignez-nous !

1– www.institutdepsychiatrie.org, contact@institutdepsychiatrie.org
2– Le service de formation de l’Université Descartes propose le DU Détection et Intervention Précoces des Pathologies Psychiatriques Émergentes du Jeune Adulte et de l’Adolescent (DIPPPEJAAD), voir www.scfc.parisdescartes.fr/index.php/descartes/formations/medecine/psychiatrie-addictologie/detection-et-intervention-precoces-des-pathologies-psychiatriques-emergentes-du-jeune-adulte-et-de-l-adolescent-dipppejaad/(language)/fre-FR
3– À lire sur ce sujet : Case management en santé mentale, Santé mentale, n° 216, mars 2017.
4– http://www.fondationpierredeniker.org/programme/psyjeunes